Le théâtre Off
Cet article retrace les cheminements transatlantiques de la notion de "théâtre off" des années 1940 à...
La rubrique « Arts de la scène » rassemble des articles traitant de la circulation transatlantique des objets, des pratiques et des représentations au sein du monde du spectacle. Y sont retracés les allers-retours et les cheminements multiples de ces circulations artistiques dans leurs différentes dimensions. Ces circulations peuvent concerner une œuvre, un texte, un artiste aussi bien qu’une pratique, un mouvement ou une tendance, ou bien encore se rapporter aux concepts, imaginaires et références symboliques qui sont mobilisés par tous ceux - personnes et institutions - qui participent à la définition des différents champs concernés.
Sont considérées ici les disciplines artistiques liées à la « mise en scène » et la « représentation » : le théâtre bien évidemment, mais également la danse, les arts de la rue, les performances, les happenings ou encore l’opéra et d'autres formes plus hybrides comme la danse-théâtre, l’opérette, les interventions urbaines, entre autres. Toutes les manifestations scéniques sont prises en compte, au-delà des distinctions traditionnelles (milieu professionnel versus pratiques amateurs ; art « légitime » versus production « marginale » ; etc.). Des formes situées à la frontière de ces catégories, comme celle du circo criollo, du café-concert ou du théâtre communautaire, seront également traitées dans cette rubrique afin de montrer la richesse des échanges transatlantiques dans les arts scéniques et de rééquilibrer la participation des différents espaces dans ce brassage culturel. Par ailleurs, les liens sont nombreux avec la rubrique « Musique », le théâtre lyrique pouvant par exemple être compris dans l’une ou l’autre rubrique.
Les arts de la scène européens ont eu une centralité indiscutable dans l’histoire du théâtre occidental, si bien que les échanges et les influences entre les différents pays ont été analysés très souvent d’un point de vue unidirectionnel, de l’Europe vers les Amériques - et, dans une moindre mesure, l’Afrique. Longtemps, l’histoire du théâtre occidental a été conçue comme une histoire fondamentalement européenne. Cette rubrique entend interroger cette conception traditionnelle des échanges en insistant sur le croisement d’influences et la multiplicité des flux (qui ont pu fonctionner aussi de l’Amérique latine et de l’Afrique vers l’Europe et les États-Unis). En effet, depuis la fin du xixe siècle déjà, la naissance de ce que Christophe Charle nomme la « société du spectacle » et qui prend le relais de ce que Jean-Claude Yon a appelé la « dramatocratie » relie plusieurs villes dans l'espace atlantique. Des rapports se tissent, par exemple, entre les capitales théâtrales européennes (Paris, Berlin, Londres, Vienne) et la naissante métropole culturelle nord-américaine, New York. Les tournées de spectacles d’abord, dominées par le répertoire parisien, puis les traductions d’œuvres dramatiques ou bien la chronique théâtrale qui suit les nouveautés du vieux continent, alimentent des passerelles culturelles entre les États-Unis et l’Europe. Feydeau, par exemple, est fêté à Londres et à New York, comme l’a montré Violaine Heyraud. Les tournées d'artistes sont particulièrement importantes : celles de Sarah Bernhardt au Brésil permettent de mesurer les transformations du monde théâtral brésilien.
La naissance de l’Entertainement Business voit l'apparition de grands entrepreneurs, actifs des deux côtés de l'Atlantique, tels le célèbre Phineas Barnum et le non moins important Imre Kiralfi. Par ailleurs, la création des grandes salles de théâtre, entre la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle, dans les capitales latino-américaines comme Rio de Janeiro, Santiago du Chili et Buenos Aires, élargit le circuit des grandes tournées internationales, et offre une terre d'accueil aux artistes européens pendant les deux guerres mondiales.
Au xxe siècle, les flux s'intensifient suite aux différentes vagues migratoires, conséquences, entre autres, des guerres et crises politiques. Les arts de la scène, d’un côté ou de l'autre de l’Atlantique, ne sont pas indifférents à ces mouvements démographiques. Tant les tendances plus mainstream du monde du spectacle, dont le Broadway new-yorkais est l’une des cristallisations plus emblématiques, que les vagues avant-gardistes trouvent leur singularité dans le brassage culturel produit par les migrations.
Dans les comédies musicales à l’américaine, lesdites people's opera, on peut observer les réappropriations de l’opéra européen ; l’origine du mouvement des théâtres indépendants sud-américain se nourrit des propos du théâtre du peuple de Romain Rolland et des luttes antifascistes des exilés anarchistes ; les avant-gardes théâtrales européennes sont des références privilégiées pour le théâtre expérimental américain pendant les années 1960, notamment dans le circuit du théâtre Off-Broadway, qui inspire par la suite plusieurs expériences scéniques tant en Europe qu’en Amérique latine,etc. Les tournées aussi bien en France qu’au Brésil de la troupe The Living Theater en sont un exemple.
Des années plus tard, l’exil latino-américain pendant les dictatures militaires refait le voyage à l’inverse, influençant fortement les expériences du théâtre politique ainsi que les études théâtrales dans les territoires d'accueil. C'est le cas de la large diffusion du « théâtre de l'opprimé » d’Augusto Boal en Europe ; de l'intégration d'artistes latino-américains dans des compagnies prestigieuses comme le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine en France ou La MaMa Experimental Theater Club à New York ; ou encore, de la configuration des réseaux de recherche sur le latin theatre dans les départements d’espagnol des universités nord-américaines. D’autres disciplines scéniques comme la danse, la marionnette, le cirque et les techniques du clown, ou plus récemment la performance, se nourrissent des échanges culturels en plusieurs directions pour renouveler leurs codes esthétiques et méthodes de création.
Ainsi, les modalités de circulation considérées dans cette rubrique sont multiples, qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Un objet peut « tourner » au sein de l’espace géographique concerné, produisant des effets pérennes ou temporaires dans les espaces d'accueil. C’est le cas, par exemple, de la tournée d’une pièce, des voyages d’un artiste, des traductions de pièces ou de textes théoriques, de la diffusion outre-Atlantique d'un style ou d'une technique. La circulation peut également s’opérer par les réappropriations d’une pratique, d’une idée ou d'une tendance dans des espaces et des contextes socioculturels variés. Cela se fait bien évidemment à travers des « passeurs » spécifiques (personnes, associations, institutions, etc.), mais également grâce à des situations particulières dans les territoires de réception (par exemple, des politiques culturelles volontaristes, l'action de mouvements sociaux, l’influence de situations de censure ou de répression, l’effet des crises économiques ou des moments de croissance, etc.), chacun de ces facteurs (qui peuvent du reste interférer entre eux) produisant des résultats singuliers. Tel est le cas, entre autres, des réappropriations latino-américaines du théâtre populaire, des théâtres de boulevard des villes capitales, de l’enseignement de certaines techniques ou de la diffusion des écoles de jeu, ou bien des relectures et usages divers des classiques du théâtre selon les contextes. Autant de modalités qui montrent la complexité des circulations artistiques que cette rubrique a l’ambition de retracer.