Arts de la scène
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L’espace atlantique constitue un terrain privilégié pour le ballet de l'Opéra de Paris qui l’a traversé de nombreuses fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (en 1948, 1950, 1962, 1966, 1967, 1974, 1976, 1986, etc.) avec, pour destination privilégiée, les États-Unis. La dernière tournée en juillet 2017 à New York a permis de réunir sur scène l'Opéra de Paris, le Bolchoï et le New York City Ballet dans un hommage historique au chorégraphe d'origine géorgienne qui a fondé le ballet américain, Georges Balanchine. Les capitales d'Amérique du Sud ont également été une destination du ballet de l'Opéra de Paris, même si plus secondaire. La dancing diplomacy1 (ou diplomatie dansante) désigne l'envoi sur les scènes internationales de compagnies de danse — ballet, danse folklorique, post-moderne ou contemporaine — dans un objectif stratégique. Le moment de la guerre froide est particulièrement fécond dans l'envoi de compagnies car la danse constitue un puissant vecteur culturel : comme art non-verbal, il ne requiert pas de traduction, à l’inverse du théâtre ; comme art corporel, il permet de mettre en lumière des danseuses et des danseurs sculptés par des années de pratique, reflet de l'école nationale de ballet dans laquelle ils ont été formés, des corps puissants et gracieux à la fois ; comme art de la scène, la danse permet de valoriser les savoir-faire réputés des artisans des coulisses — costumiers, teinturiers, décorateurs — et des maîtres de ballets et chorégraphes. Cette période coïncide aussi avec le développement de l'aviation qui invite à aller plus loin et plus vite, avec la troupe au complet. Les tournées sont des évènements coûteux qui, pour les organisateurs, doivent rapporter, si ce n'est financièrement, au moins symboliquement : elles permettent d'affirmer internationalement le prestige national. Ou, selon le vocabulaire de l'époque, « servir la propagande française2 ».
Dans cet article, nous nous concentrerons sur deux tournées en particulier, celle de 1948 au Canada et aux États-Unis et celle de 1950 en Amérique du Sud, au Brésil et en Argentine. Ce sont les plus importantes de l'après Seconde Guerre mondiale en terme de durée, de financement et de répertoire. Le mouvement transatlantique du ballet de l’Opéra de Paris s'explique, tout d'abord, par sa volonté de faire connaître son histoire et son répertoire en Amérique, un continent où le ballet a pris son essor à partir des années 1920 grâce à l'émigration de danseurs russes fuyant la Révolution bolchévique, aux tournées des Ballets Russes, puis à l’ouverture de grandes écoles de ballet dans les années 1930. Tant en Amérique du Nord qu'en Amérique latine, c'est un art importé par les Européens. Il s'agit de conquérir un nouveau public, urbain et élitiste. Aussi, dans le contexte de la guerre froide culturelle, la France cherche à se présenter sous son meilleur jour à l'étranger, comme ses rivaux américain, soviétique ou britannique. Les tournées de ballet, avec un répertoire ancien ancré dans l'histoire longue de la danse — l'Académie royale de danse initiée par Louis xiv datant de 1661 — contribuent à ce prestige. L’Opéra de Paris cherche à garder sa première place dans le classement international des compagnies de ballet face aux nouvelles compagnies américaines. Au-delà des enjeux artistiques, c'est aussi un moyen de continuer à tisser des liens diplomatiques bilatéraux par le biais du soft power, une « lutte pour la gloire et le rayonnement français3 ». C'est ce que le Commandant du Campana, le paquebot qui conduit la troupe en Amérique du Sud en 1950, résume par la formule : « la mission du ballet, de beauté et de propagande, de resserrement des liens latins.4»
La tournée de ballet est un compromis entre les acteurs artistiques (administrateurs de l'Opéra de Paris, équipe artistique et danseurs), les acteurs politiques (le ministère des Affaires étrangères, l'Association française d'action artistique et les diplomates locaux) et les acteurs commerciaux (l’imprésario, s'il y en a un). Chacun a ses propres objectifs, qui ne sont pas toujours compatibles, ce qui peut générer des tensions. Mais tous se coordonnent pour arriver à construire une tournée.
Tout d'abord, les acteurs artistiques : ce sont eux qui sont sur le devant de la scène ou accueillis dans les diverses manifestations en leur honneur. Ils sont au minimum une cinquantaine : danseuses et danseurs, directeurs et employés de l'administration, habilleurs, régisseurs en chef, chefs d'orchestre, maîtres de ballet ou chorégraphes. Les équipes administrative et artistique se sont accordées en interne pour envoyer tel ou tel ballet qui est prêt (version du ballet défini, distribution — y compris des remplaçants en cas de blessure —, répétitions qui peuvent prendre plusieurs semaines, décors, costumes et accessoires à prévoir). Ces décisions ne sont pas aisées à adopter car il faut respecter la hiérarchie des artistes de l'Opéra, les désirs individuels ainsi que les strictes conditions des contrats de travail. Les danseurs ne peuvent, par exemple, dépasser un certain nombre de répétitions et de représentations par semaine. Ils renoncent parfois à leurs vacances pour partir en tournée et ne pas laisser la scène parisienne sans ballet en cours de saison.
Les acteurs commerciaux forment la deuxième pointe du triangle. L'imprésario, un professionnel du spectacle du pays hôte, s'occupe des négociations avec le théâtre d'accueil, de la promotion des spectacles et parfois d'une partie de la logistique (réservation des hôtels, repas). Généralement, soit ses frais sont prévus dans le budget initial, soit il engage des frais personnels et prend un pourcentage sur les bénéfices pour se rembourser. Il fait office de courroie de transmission entre le théâtre d'accueil, la troupe et les acteurs politiques comme l'attaché culturel français sur place. Connaissant bien le public local, il oriente le répertoire présenté en faisant des propositions en amont. Certains de ces imprésarios sont de véritables stars comme le fut Sol Hurok (1888-1974), l'agent new yorkais de la danse : l'impresario profite de la notoriété de la compagnie qu'il soutient pour valoriser sa propre carrière.
Enfin, les acteurs politiques se situent sur les deux rives de l'Atlantique. À Paris, le ministère des Affaires étrangères et l'Association française d'action artistique (l'AFAA, créée en 1922) gèrent les échanges culturels internationaux. À l'étranger, les ambassades françaises et, en leur sein, les attachés culturels font figure d'intermédiaires locaux pour préparer la tournée, anticiper les problèmes divers et variés (visas, problèmes de change de la monnaie, douanes) et veiller au respect du programme hors scène (visites, réceptions officielles, etc.), qui a été négocié en amont. Car la tournée est, en plus du spectacle, l'occasion de nouer des contacts avec l'élite — artistique, économique et politique — locale. Les acteurs politiques locaux sont aussi impliqués, ainsi que ceux qui s'occupent des échanges culturels à plus haut niveau. Au-delà de l'image surannée d'un spectacle de ballerines en tutus, toute une machine complexe est en route et des négociations parfois rudes se déroulent en coulisses. Le répertoire est âprement discuté car la tournée, comme vitrine culturelle, doit montrer que l'Opéra de Paris maîtrise à la fois les classiques de l'histoire du ballet (Giselle, Lac des Cygnes, etc.) et innove avec des chorégraphies plus récentes : il s'agit de trouver un juste équilibre entre tradition et modernité, pour ne paraître ni trop poussiéreux ni trop avant-gardiste aux yeux des publics et de la critique. La dimension des plateaux est aussi un sujet délicat car les décors des ateliers de l'Opéra de Paris ont besoin de scènes de grande envergure.
La première tournée du ballet de l'Opéra de Paris en Amérique du Nord a lieu en septembre 1948 à Montréal, New York, Chicago, Philadelphie, Richmond et Washington, des villes qui accueillent un public aisé de balletomanes. Dans un monde où se définissent de nouvelles règles du jeu, cette tournée est organisée pour le Jubilée d'Or (Golden Jubilee) de New York et permet au ballet de l'Opéra de Paris de se remettre en route, plus longtemps et plus loin, après la Seconde Guerre mondiale, après quelques courtes tournées en Europe. L'Amérique du Nord constitue un terrain important pour la promotion du ballet, en particulier New York, où le ballet a pris son envol dans les années 1920-1930, grâce notamment à Georges Balanchine, danseur et chorégraphe d'origine géorgienne, qui fonde en 1934 la School of American Ballet puis dirige l'American Ballet et le New York City Ballet, deux fleurons new yorkais de la danse classique. C'est aussi un échange diplomatique entre Alliés car les fêtes du Golden Jubilee marquent le retour des derniers soldats américains envoyés en Europe. Ces années de l'immédiat après-guerre forment un moment charnière, après la difficile période de la Collaboration au sein de l'Opéra de Paris, dont les stigmates ne sont pas totalement refermés. Serge Lifar, le sulfureux maître de ballet de l'Opéra qui a collaboré avec les Allemands pendant la guerre, participe à la tournée, mais est très peu apprécié par la critique états-unienne. John Martin, le chroniqueur du New York Times dénonce un collaborateur adoubé par la France ; et Sol Hurok lui-même, qui est pourtant l'impresario en charge de la tournée, voit en lui un « bad boy5 ». Lifar ne peut en conséquence apparaître sur scène, une série de manifestations se tenant devant le théâtre pour contester sa présence6. Son image ternit incontestablement la tournée du ballet de l'Opéra de Paris.
À l'étranger, danseuses et danseurs endossent un double rôle d'ambassadeurs et de passeurs culturels : non seulement ils incarnent la France sur les scènes étrangères — la Marseillaise est ainsi jouée à chaque première et dernière dans les villes visitées —, mais les tournées constituent également des étapes importantes dans leur carrière, où ils peuvent expérimenter de nouvelles distributions et acquérir une notoriété inédite. Elles sont l'occasion d'échanger des savoir-faire entre danseurs de compagnies concurrentes qui suivent parfois des cours en commun comme à Broadway ou à la School of American Ballet à New York. Claude Bessy, alors danseuse du corps de ballet de tout juste 16 ans et plus tard directrice de l'école de ballet de l'Opéra de Paris, se souvient des années plus tard de son enthousiasme : « La liberté est à moi. Après des années de privations, je découvre l'abondance, les boutiques, les nourritures appétissantes et copieuses, les parades et les fêtes de rue, la mythique Amérique7. » Car la destination américaine charrie incontestablement avec elle son lot de désirs, de rêves et d'émancipation.
C'est à la fin de l'été 1950 que le ballet de l'Opéra de Paris se rend pour la première fois en Amérique du Sud, se produisant à Rio, São Paulo, Buenos Aires durant six semaines, une période relativement longue qui s'explique par la distance à parcourir. Sur le plan diplomatique, il s'agit moins ici de développer une stratégie de guerre froide culturelle, que de reprendre les échanges avec la partie latine des Amériques, considérablement réduits pendant la guerre. Tout un champ sémantique de l'amitié, tendant vers le lyrique, est présent dans les comptes rendus officiels issus de l'Opéra de Paris, qui évoquent : « un souvenir inoubliable de l'accueil du Brésil et de celui de l'Argentine si spontanés, si affectueux, [...] une atmosphère de compréhension sensible où le talent de nos artistes a pu s'exprimer pleinement8 ». L'Amérique du Sud a été le refuge pendant la Seconde Guerre mondiale de danseurs fuyant l'Europe et d'une partie des Ballets Russes comme la troupe du Colonel de Basel qui a été accueilli au Théâtre Colón de Buenos Aires. En 1950, le riche public urbain brésilien — un « peuple jeune » qui aime « les créations modernes » selon l'ambassadeur français au Brésil9 — est désireux de voir des artistes français car des bases ont été posées en 1949, toujours selon l'ambassadeur. L'année précédente, le Ballet des Champs-Élysées, avec son danseur vedette de l'époque Jean Babilée, a été accueilli au Brésil, ainsi que la compagnie de théâtre de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, cette dernière étant financée par l'AFAA. Le répertoire du ballet de l'Opéra de Paris est alors minutieusement choisi pour plaire au public local, éloigné des scènes européennes et qui souhaite découvrir un éventail large de productions : 17 ballets sont présentés, un nombre particulièrement élevé, comme pour montrer l'étendue des possibilités des artistes français. Au programme figurent, entre autres : Giselle, Le Lac des Cygnes, Coppélia ; des pièces issues de la période des Ballets Russes comme Prélude à l'Après-midi d'un faune et La Péri ; et de nombreux ballets de Lifar, qui est encore le chorégraphe principal de la maison parisienne, comme Phèdre, Icare, Suite en Blanc et Les Mirages. Contrairement à la tournée de 1948 en Amérique du Nord, la présence de Lifar n'est pas contestée — d'après les sources de l'Opéra de Paris et du ministère des Affaires étrangères. Au contraire, l'ambassadeur français au Brésil vante dans son rapport les « créations modernes dues au génie inventif de Serge Lifar10 », dont le nom sert à vendre les tickets de la tournée11. Celui-ci en profite également pour donner des conférences sur son livre La Danse aujourd'hui et mettre en scène une version d'Electre de Sophocle pour le Théâtre universitaire de Buenos Aires.
Dans la toute jeune revue L'Opéra de Paris, deux articles reviennent sur le déroulement de la tournée sud-américaine et notamment sur les moments joyeux de la traversée transatlantique en paquebot, à l'aller sur le Campana, au retour sur le Florida12. Cette publication destinée aux abonnés de l'Opéra est conçue comme une vitrine et il est logique d'y trouver des articles vantant les mérites de la troupe en goguette et de ses hôtes. Entre « évasion et emprisonnement13 », le temps du voyage est propice aux divertissements. Le pont du Campana devient ainsi une véritable cour de récréation et des jeux y sont organisés quotidiennement pour briser la monotonie, dans une ambiance bon enfant : tennis, ping-pong, parties de cartes, jeux de rôles et baptême de Neptune lorsque le paquebot franchit l'équateur. Il y a bien sûr des moments de tensions — des jeux peuvent déraper, comme cette danseuse enduite de farine qui est poussée dans la piscine par ses collègues ou celle qui tombe au sol en croyant s'être cassé le coccyx — et des moments de joies et de partage qui font oublier les journées monotones de la traversée. Le soir, bal ou cinéma sont organisés en alternance sur le pont. Trois anniversaires y sont aussi célébrés : celui de Ginette Berthéas, 23 ans, de Micheline Bardin, 30 ans et de Jean-Bernard Lemoine. La plupart des 60 danseurs et accompagnants sont jeunes, le corps de ballet étant composé de danseuses et danseurs parfois tout juste majeurs. Les chiffres de la tournée s'égrènent, montrant l'exceptionnalité d'une telle entreprise : 60 artistes et techniciens, décors, costumes et accessoires pour 17 ballets soit 70 tonnes de fret14.
De nombreuses photographies illustrent les textes, rendant plus concrets encore les moments de vie de la tournée et ses étapes hors scène : on y voit le débarquement des décors sur le port de Rio ; les coulisses où les danseurs prennent le temps de poser pour l'objectif dans une ambiance détendue après les représentations ; les visites qui ponctuent les journées comme celle à l'Institut des Sérums (sic) à Rio ; des spectateurs argentins qui boivent la boisson locale, le maté, en attendant le spectacle. Il y est noté que les salles sont combles et que les demandes de place dans les petites annonces des journaux se multiplient. Pour donner un ordre de grandeur, le Théâtre Colón compte 3 000 places et 15 représentations y sont programmées, soit 45 000 spectateurs rien qu'à Buenos Aires. Le succès s'explique aussi par la présence exceptionnelle de Tamara Toumanova, danseuse formée à Paris et passée par le Ballet Russe de Monte-Carlo, alors émigrée aux États-Unis, qui est l'invitée d'honneur de la compagnie. À São Paulo, une soirée supplémentaire gratuite pour « le peuple » a été organisée dans un stade par la municipalité, devant 40 000 spectateurs, un moyen de démocratiser temporairement le ballet. La critique — dont seuls les articles élogieux sont bien sûr repris dans la revue L'Opéra de Paris — estime que la troupe possède une « pureté technique incomparable15 ». L'ambassadeur de France au Brésil transmet toutefois quelques notes plus négatives, qui soulignent la baisse de performance de Serge Lifar, qui a alors 45 ans, ce qui est âgé pour un danseur classique.
Succès public et succès critique, succès diplomatique aussi. En Argentine, le couple présidentiel formé par Juan et Eva Perón est présenté comme le premier fan de la troupe. Les danseurs sont invités au palais présidentiel pour un grand banquet, puis à visiter un orphelinat financé par Eva Perón. Lors de cette visite, une enfant fait une démonstration de ballet, devant le public d'ores et déjà conquis des danseurs français. À Rio, en dehors de la scène, les danseurs, logés à l'Ambassador Hotel, au 25 rue Senador Dantas, à deux pas du théâtre, sont traités comme des ambassadeurs culturels importants. L'ambassadeur de France au Brésil, Gilbert Arvengas, note dans son rapport du 16 septembre 1950 que « le succès éclatant [...] a répondu pleinement à l'attente [de la population brésilienne]16 ».
Cette tournée, engagée « pour le rayonnement artistique et culturel de la France17 », s'avère toutefois un échec financier cuisant. Premièrement, la clôture des comptes est à l'origine d'un procès durant de nombreuses années (au moins jusqu'en 1954) avec Cesare de Mendoza Lassalle (1910-1999), le chef d'orchestre espagnol et imprésario local pour la tournée en Argentine. Les sources consultées à l'Opéra de Paris ne permettent pas de savoir précisément qui a gagné le procès et comment celui-ci se termine : de toute évidence, les rapports consultés dans les archives montrent au moins quatre années de négociations et d'allers-retours entre les parties, éreintants pour l'administration de l'Opéra. En effet, les organisateurs français ne sont jamais à l'abri d'une mauvaise gestion des fonds alloués ou de frais de douane non anticipés qui annulent un équilibre financier déjà précaire. Par ailleurs, l'Argentine souhaite prélever un impôt sur les bénéfices, ce qui engendre toute une série de négociations pendant plusieurs mois et beaucoup d'énergie de la part des diplomates pour trouver une solution, même si la somme ne semble pas considérable. Finalement, l'AFAA paye le déficit en versant la garantie financière prévue pour solder les comptes. La tournée précédente en Amérique du Nord en 1948 s'est soldée par une même déconvenue : la Cour de comptes a mis quatre ans avant de clôturer définitivement les comptes. Ces deux tournées transatlantiques, aux montages financiers instables, sont les plus importantes organisées après la guerre. Plus tard, c'est l'Europe et l'URSS qui sont privilégiées, déplaçant le centre de gravité vers l'Est. Les diplomates semblent échaudés par les difficultés financières rencontrées lors des deux tournées transatlantiques. Mais ce retournement s'explique aussi par le contexte de guerre froide et l'arrivée grandissante sur les scènes d'Europe de l'Ouest des ballets et compagnies de danse folkloriques soviétiques. Le ballet de l'Opéra de Paris entre désormais en concurrence directe avec les étoiles soviétiques, bien plus qu'avec celles des Amériques.
Après plusieurs tournées en Amérique du Nord (1967) et du Sud (1962, 1966), les tournées transatlantiques du ballet de l'Opéra de Paris se sont faites de plus en plus rares après les années 1960. Trop coûteuses, moins prioritaires pour l'AFAA — le ballet de l'Opéra de Paris perdant un peu de son lustre au fil des années, doublé par la concurrence de la danse moderne et contemporaine —, elles ont été remplacées par des visites de danseurs pour des galas ponctuels. Aujourd'hui, le ballet de l'Opéra de Paris se produit moins régulièrement à l'international, en raison du coût important de ces déplacements. Mais l'Amérique du Nord reste une destination privilégiée où un public urbain fidèle répond présent : la dernière tournée aux États-Unis date de l'été 2017, l'occasion de fêter les cinquante ans de la création du ballet Joyaux de Georges Balanchine et d'interpréter Emeraudes aux côtés du New York City Ballet et du Bolchoï. L'Amérique du Sud a, quant à elle, été oubliée des destinations récentes de l'Opéra, celui-ci préférant dernièrement l'Asie, et notamment le Japon (février 2020), où le succès de la danse classique ne se dément pas.
Victoria Philips Geduld, "Dancing Diplomacy: Martha Graham and the Strange Commodity of Cold War Cultural Exchange in Asia, 1955 and 1974," Dance Chronicle 33 (2010): 44-81.
Bibliothèque-Musée de l'Opéra, OPERA ARCH20/394, Tournée en Amérique du Nord 1948-1950, Rapport du 9 décembre 1948, 4.
"Le corps de ballet de l'Opéra acclamé au Brésil et en Argentine," L'Opéra de Paris, no. 2 (octobre-novembre 1950): 29.
"Le corps de ballet," 29.
Sol Hurok, Impresario (New York: Random House, 1946), 210.
Stéphanie Gonçalves, Danser pendant la guerre froide (1945-1968) (Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2018), chapitre 2.
Claude Bessy, La Danse pour passion (Paris: Jean-Claude Lattès, 2004), 42.
"Le corps de ballet," 23.
Archives du ministère des Affaires étrangères, 554INVA485, Rapport de l'ambassadeur de France au Brésil, G. Arvengas à Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, 16 septembre 1950, 1-2.
Archives du ministère des Affaires étrangères, 554INVA485, Rapport de l'ambassadeur de France au Brésil, G. Arvengas à Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, 16 septembre 1950, 1.
Archives du ministère des Affaires étrangères, 554INVA485, Rapport de l'ambassadeur de France en Argentine Georges Picot au ministre des Affaires étrangères, Direction générale des Relations culturelles, 13 octobre 1950, 5.
"Le corps de ballet" ; Georges Beaufils, "Neptune et Amphitrite ondoient danseurs et danseuses," L'Opéra de Paris, no. 2 (octobre-novembre 1950): 27-29.
Beaufils, "Neptune," 27.
"Le corps de ballet," 24.
"Le corps de ballet," 26.
Archives du ministère des Affaires étrangères, 554INVA485, Ballets de l'Opéra en Amérique du Sud, Rapport de G. Arvengas à Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, 16 septembre 1950.
Bibliothèque-musée de l'Opéra de Paris, OPERA.ARCH20/395, correspondance au sujet de la tournée en Amérique du Sud.