Littérature
Les littératures atlantiques ont été le véhicule privilégié de l'histoire culturelle du Monde...
Mettre en lumière la diversité des éléments que renferme le terme « éducation » dans une perspective transatlantique : tel est l'objectif de cette rubrique. Les articles abordent les institutions et les politiques éducatives ; les courants et mouvements d'idées ayant pour objet l'éducation ; les savoirs pédagogiques et les contenus des enseignements, mais aussi le cadre matériel dans lesquels ils sont dispensés. Le tableau ne serait pas complet sans une attention portée aux acteurs : enseignants, pédagogues, publics visés, fonctionnaires nationaux ou internationaux, experts, etc.
Si l'historiographie a longtemps privilégié le cadre national pour traiter l'objet « éducation », elle a, comme pour d'autres champs de l'histoire culturelle, amorcé depuis une vingtaine d'années son transnational turn. Dès avant du reste, dans les années 1970, l'histoire de l'éducation avait adopté une perspective internationale, avec la publication en France en 1980 de l'Histoire mondiale de l'éducation dirigée par Gaston Mialaret et Jean Vial, qui restait cependant ancrée dans une logique de juxtaposition d'études nationales ou régionales. Au même moment était créée l'International Standing Conference for the History of Education (1978) pour promouvoir la recherche et la coopération internationales en matière d'histoire de l'éducation. Cette institution, qui regroupe d'ailleurs aujourd'hui des associations des deux rives de l'Atlantique (ainsi que du Japon et d'Australie), organise une conférence par année.
La question des circulations et des transferts en matière d'éducation apparaît aujourd'hui dans de nombreux travaux dont les auteurs posent d'emblée la nécessité de s'extraire ou tout du moins de repenser le cadre national1. Néanmoins, on observe qu'il y a pour le moment peu de recherches adoptant le cadre transatlantique. On est en présence soit de perspectives régionales, en particulier sur l'Europe ou l'Amérique latine2, soit de travaux s'intéressant aux milieux internationaux, même si, ponctuellement, il est possible de trouver des approches transatlantiques3. Transatlantic Cultures invite donc les chercheurs à élargir leur cadre et leur focale d'analyse.
Par ailleurs, il convient d'être attentif aux dynamiques de résistances, de resémantisations et d'hybridations auxquelles donnent lieu ces circulations en matière éducative, ce qui suppose de travailler sur l'imbrication des échelles locale, nationale, régionale et internationale.
Le défi que représente l'adoption de l'espace transatlantique comme cadre et comme perspective d'analyse se joue à plusieurs niveaux.
Il s'agit, tout d'abord, d'évaluer dans quelle mesure certaines circulations, en principe internationales, n'existent en réalité que dans l'espace transatlantique, ou bien acquièrent au sein de celui-ci une coloration particulière. Nous pensons ici, notamment, à l'action et aux politiques d'institutions et d'organismes internationaux (la Ligue internationale pour l'éducation nouvelle, le Bureau International d'Éducation, la Conférence Permanente des Hautes Études internationales...) ; ou encore à la question coloniale puisque les territoires des empires britannique, français, allemand ou italien débordent le cadre transatlantique.
Cela amène à un deuxième problème. Une partie des circulations qui ont cours dans le domaine de l'éducation à l'époque contemporaine s'inscrivent en effet fortement - et presque essentiellement - dans le contexte de la colonisation (pour l'Afrique et une partie des Antilles) ou bien dans celui des héritages de la colonisation (pour l'essentiel du continent américain). Faire l'histoire des échanges et transferts transatlantiques en matière d'éducation présente ainsi le risque de faire - mais le problème se pose pour d'autres domaines - une histoire de l'éducation coloniale, ou des politiques coloniales d'éducation, et de leurs conséquences à long terme. Cette dimension est inévitable pour l'aire africaine. En Amérique, latine ou du Nord, si les modèles hérités de la colonisation restent prégnants, d'autres circulations sont à l'œuvre aux xixe et xxe siècles.
Le troisième défi consiste dès lors à ne pas escamoter la diversité qui existe au sein de chaque région composant cet espace transatlantique, tout en évitant d'avoir comme résultat une liste d'articles qui ne serait qu'une collection d'études de cas. Chaque État mériterait peut-être d'avoir sa propre notice, tant est importante la diversité des transferts culturels qui s'y jouent en matière d'éducation, tant sont nombreux et variés les emprunts et les réadaptations qui y sont à l'œuvre à l'échelle de l'ensemble de la période courant de la fin du xviiie siècle au début du xxie siècle. L'objectif, parfois difficile à atteindre, est de conjuguer singularité, mécanismes d'adaptation et montée en généralité.
Si cette rubrique a pour ambition de couvrir l'ensemble des périodes traitées par le dictionnaire, force est de constater, pour le moment, la prééminence du xixe siècle et encore plus des années 1920-1930 dans les articles. Cet état de fait n'est pas uniquement la traduction des domaines d'étude des coordinateurs de la rubrique ; cela correspond à un état de la recherche qui, lui-même, reflète des dynamiques historiques.
Le xixe siècle est en effet celui de l'émergence et de l'affirmation des États-nations, des deux côtés de l'Atlantique et, corrélativement, de l'élaboration progressive de systèmes d'éducation à même de participer à la création et à la consolidation du national, que ce soit dans le contexte postcolonial des États américains ou dans celui des impérialismes européens. Si ce processus relève d'impératifs et de considérations qui opèrent dans le cadre des frontières nationales, il est tout à la fois le moteur et le résultat d'intenses circulations qui les dépassent selon une logique analysée par Anne-Marie Thiesse et résumée par la formule « il n'y a rien de plus international que la création des identités nationales »4. L'entre-deux-guerres, pour sa part, attire l'attention des chercheurs s'attachant à identifier et à analyser les phénomènes de circulations et de transferts dans la mesure où il marque l'avènement d'un nouveau régime d'internationalisme5, notamment pour l'éducation.
Voir notamment Alexandre Fontaine, Aux heures suisses de l'école républicaine. Un siècle de transferts culturels et de déclinaisons pédagogiques dans l'espace franco-romand (Paris: Demopolis, 2015) ; Damiano Matasci, L'École républicaine et l'étranger. Une histoire internationale des réformes scolaires en France, 1870-1914 (Paris: ENS Éditions, 2015).
Voir les travaux de Marcelo Caruso sur l'éducation dans le cadre des États latino-américains nouvellement indépendants.
Voir, entre autres, les travaux de Maria Helena Camara Bastos sur l'enseignement mutuel en Amérique latine, et plus particulièrement au Brésil ; ceux de Thomas Preveraud sur les circulations mathématiques entre la France et les États-Unis Circulations mathématiques franco-américaines (1818-1878) (PhD diss., Université de Nantes, 2014) ; ceux de Sébastien-Akira Alix sur l'enseignement de la langue maternelle ("Le regard d'un Américain sur l'enseignement de la langue maternelle en France en 1913," Histoire de l'éducation 137 (2013): 33-56.
Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales. Europe xviiie-<span style="font-variant: small-caps">xixe siècle (Paris: Seuil, 2001 [1999]), 11.
Cf. Daniel Gorman, The Emergence of International Society in the 1920's (Cambridge: Cambridge University Press, 2012) ; et Daniel Laqua, ed., Internationalism Reconfigured: Transnational Ideas and Movements between the World Wars (London: Tauris, 2011).