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En 1953, la guerre froide pousse le président Eisenhower à créer une agence indépendante du...
Avec les premières victoires alliées de 1943, les autorités suisses font face aux critiques de plus en plus cinglantes des futures puissances victorieuses. En effet, l'attitude ambiguë de la Confédération, qui maintient ses relations avec les forces de l'Axe, est largement décriée. Accusée de participer au prolongement du conflit et de « profitage de guerre », la Suisse se trouve relativement isolée sur le plan international au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un isolement accentué par son refus, au regard de son statut d'État neutre, de prendre part à l'important projet de coopération multilatérale mis en place sous l'impulsion des États-Unis : l'ONU. Frappé par des sanctions diplomatiques et économiques, le pays pâtit également de la détérioration de son image à l'étranger, source d'inquiétude pour les milieux d'affaires et le secteur touristique. Les critiques les plus virulentes proviennent des États-Unis ; or, ce pays est devenu le principal partenaire économique de la Suisse après l'effondrement de l'Allemagne nazie.
Les autorités helvétiques peuvent alors compter sur un instrument de choix pour œuvrer à la réhabilitation de l'image de la Suisse à l'étranger : le Service suisse d'ondes courtes. Lancée le 6 mai 1939 par la Société suisse de radiodiffusion (SSR), société privée de service public qui exerce alors le monopole sur l'ensemble des programmes radiophoniques, cette radio internationale s'est très rapidement distinguée par sa capacité à nourrir les liens avec la diaspora suisse et à faire rayonner le pays à l'étranger en diffusant des programmes en six langues (les trois langues nationales, auxquelles s'ajoutent l'anglais, l'espagnol et le portugais). Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Service suisse d'ondes courtes s'est signalé par son adéquation totale avec la ligne politique officielle. En effet, cette radio trouve ses origines dans le cadre de la « défense nationale spirituelle », un projet de politique culturelle mis en place par le gouvernement à la veille du conflit pour faire face aux propagandes totalitaires. C'est donc logiquement que cette station suit aussi, dans l'après-guerre, les inflexions de la politique étrangère de son pays.
Face à la nouvelle donne géopolitique, le Service suisse d'ondes courtes met très vite en place une série de programmes destinés spécifiquement au public américain. Ces programmes se divisent en deux grandes catégories, les chroniques et les émissions dites de goodwill, les premières s'adressant davantage à l'intellect des auditeurs et les secondes à leur affect. Les chroniques (dont une partie des manuscrits sont désormais disponibles en ligne grâce à un partenariat entre l'université de Lausanne et Swissinfo) sont de courtes causeries qui visent essentiellement à expliquer la politique étrangère helvétique et le fonctionnement du pays en insistant sur les points communs qui rapprocheraient la Suisse des États-Unis, faisant oublier les différends qui les opposent au sortir de la guerre. Citons en exemple les chroniques politiques intitulées « The World's Oldest Democracy Calling the World's Biggest » diffusées à partir de 1944 et relayées sur ondes moyennes par WLW-Cincinnati, une radio qui couvre la totalité de l'Amérique du Nord, et les chroniques culturelles intitulées « Die Schweiz ruft Amerika » proposées dès l'année suivante.
Les émissions dites de « goodwill », qui se multiplient dans l'immédiat après-guerre, visent, quant à elles, principalement à illustrer la solidarité du pays et à démontrer que la neutralité n'est pas forcément synonyme d'indifférence. Un des programmes emblématiques, qui s'inscrit dans cette catégorie, est la série intitulée d'abord « Soldatengrüsse nach USA », puis « The Swiss Letterbox of the Air » et enfin « G.I. Corner ». À partir de fin 1945, la radio internationale suisse offre quotidiennement, sur tirage au sort, aux permissionnaires américains en villégiature sur le territoire helvétique, du temps d'antenne pour saluer leurs proches restés au pays. À la suite d'un accord convenu entre les autorités fédérales et les forces américaines stationnées sur le vieux continent, ils seront plus de 300 000 à venir passer une semaine de vacances en Suisse et près de 5 000 à s'exprimer au micro jusqu'à l'été 1948. Ce projet sert plusieurs ambitions : des objectifs diplomatiques en laissant l'antenne à des G.I.'s conquis par la beauté du pays et l'accueil chaleureux des indigènes, ainsi que des objectifs économico-touristiques en remplissant avec cette clientèle les hôtels désertés par les Européens. Dans ce programme, la Suisse est présentée comme un pays de Cocagne.
L'interview du Brigadier Général Edward A. Noyes, chirurgien en chef des forces américaines basées en Europe, réalisée le 25 septembre 1946 par le journaliste à la tête de cette production, Lance Tschannen, ne fait pas exception. Il s'agit de l'un des rares extraits sonores conservés datant de cette époque.
De manière générale, il est difficile d'évaluer avec précision l'audience des émissions diffusées par le Service suisse d'ondes courtes. « The Swiss Letterbox of the Air » semble avoir recueilli un succès populaire particulièrement large au vu de l'abondant courrier reçu par la radio internationale helvétique. Émus par ce programme, les proches des permissionnaires y témoignent leur reconnaissance.
Les transcriptions viennent également renforcer l'offre à destination des États-Unis dans l'après-guerre. Ces programmes radiophoniques, enregistrés sur bandes magnétiques ou sur disques, sont destinés à la diffusion par des émetteurs locaux, ce qui représente la garantie d'atteindre le public visé à une heure d'écoute propice, alors que les ondes courtes souffrent encore d'importants problèmes de réception, accentués par la compétition radiophonique croissante dans le contexte de guerre froide.
À l'affût de moyens supplémentaires d'améliorer le rayonnement des programmes suisses outre-Atlantique, Paul Borsinger, responsable du Service suisse d'ondes courtes, réalise, en 1947, un voyage de trois mois en Amérique du Nord, financé par une bourse de la Fondation Rockefeller. Grâce à son statut de boursier, Borsinger est accueilli à bras ouverts par plusieurs stations (Rocky Mountain Radio Council à Denver, Canadian Broadcasting Corporation à Montréal) et est invité à rencontrer de nombreuses personnalités du monde de la radio et de la culture de manière plus générale, ainsi que des collaborateurs du State Department et de la Federal Communication Commission à Washington. Son périple américain vient confirmer une de ses certitudes : l'indépendance financière de la radio internationale suisse est un atout qui renforce son crédit aux yeux des auditeurs états-uniens, lassés d'être soumis à une propagande constante dans le contexte de tensions qui opposent les deux Blocs. En effet, contrairement à la plupart des radios internationales dont le financement repose sur des fonds étatiques, le Service suisse d'ondes courtes fonctionne tant bien que mal grâce à la redevance versée par les auditeurs suisses et n'est pas directement dirigé par l'Etat.
Un autre élément facilite sans doute la diffusion des programmes helvétiques aux États-Unis : les relations privilégiées entretenues par les responsables de la radio suisse avec des hommes de radio américains. Par exemple, des rapports personnels lient Rudolf von Reding, Secrétaire général de la SSR en charge des relations extérieures, et un des pionniers de la radio américaine, David Sarnoff, président de la Radio Corporation of America et fondateur de la National Broadcasting Company. Cette amitié a notamment facilité la retransmission des concerts du Festival de Lucerne sur des chaînes américaines. Des rapprochements avec des journalistes américains basés en Europe ont aussi été favorisés par leur refuge en Suisse durant la guerre.
L'arrimage économique de la Confédération au bloc occidental dans l'après-guerre s'accompagne donc d'une large offensive culturelle à laquelle le Service suisse d'ondes courtes prend une part active. Ses efforts participent à l'ancrage durable d'une image d'Epinal de la Suisse dans les mémoires. Face à l'apaisement des relations avec les États-Unis favorisé par le contexte de guerre froide, la radio internationale helvétique réoriente ses activités, à la fin des années 1940, vers les pays nouvellement indépendants ou sur la voie de l'indépendance, s'alignant ainsi à nouveau sur le changement de paradigme opéré par la diplomatie culturelle suisse.