The Rockefeller Foundation and the international funding of science (1920s-1950s)
The history of the Rockefeller Foundation’s international science policy highlights the pivotal role...
Scientifique, explorateur, émigré enfin, Aimé Bonpland incarne un « savant-citoyen » romantique, ambitieux, volontariste, mais dépendant d'un contexte historique freinant ses ambitions. Son parcours met en relief ce contexte et permet d'aborder plusieurs thématiques transatlantiques. D'abord, il permet d'aborder les interactions scientifiques entre l'Europe et l'Amérique latine. Ensuite, son parcours évoque l'engagement patriotique et politique d'un Français expatrié et de l'eurocentrisme qui s'en dégage. Enfin, l'expérience de Bonpland met en relief le contexte de l'émergence de l'américanisme comme science et comme sensibilité culturelle et politique.
Issu d'une famille d'apothicaires et de chirurgiens charentais, Aimé Bonpland quitte La Rochelle en 1792 pour étudier la médecine et les sciences naturelles à Paris. Spécialisé dans la botanique, il se lie d'amitié avec Alexander von Humboldt qui organise et finance à leur profit un grand voyage scientifique dans une partie de l'Amérique espagnole puis aux États-Unis entre 1798 et 1804. Bonpland s'affirme comme botaniste, chercheur de terrain et expérimentateur mais non comme systématicien. Récompensé par le gouvernement pour son travail moyennant l'octroi d'une confortable pension, Bonpland tarde à classer les échantillons recueillis comme à rédiger la partie botanique du voyage. Installé à Paris, il ne parvient pas à intégrer les grands centres scientifiques français : le Muséum national d'Histoire naturelle refuse de le nommer voyageur-naturaliste en 1805, puis c'est sa candidature qui n'est pas retenue à l'Académie des sciences en 1806 comme en 1808.
Néanmoins, Bonpland bénéficie de l'appui de Joséphine de Beauharnais qui lui offre en 1808 un poste de botaniste puis d'intendant de ses domaines de Malmaison. Malmaison représente un centre de recherche et d'acclimatation remarquable dans le domaine botanique et zoologique. Il n'en demeure pas moins un laboratoire périphérique au service de particuliers, dénué de poids institutionnel et d'identité scientifique. En outre, la gestion peu économe de Bonpland et de sa protectrice est rapidement remise en cause après le divorce de celle-ci d'avec Napoléon en 1809. Le domaine de Navarre offert par Napoléon à Joséphine en 1810 est l'occasion pour Bonpland de tenter de fonder un nouveau laboratoire de botanique appliquée. Mais il se trouve de plus en plus isolé et diminué dans ses fonctions. En 1814, le décès de Joséphine puis la chute de l'Empire napoléonien marquent un coup d'arrêt à ses ambitions d'acclimatation et d'expérimentation.
Le botaniste se tourne alors une nouvelle fois vers l'Amérique. Les mouvements indépendantistes hispano-américains qui s'affirment nécessitent des cadres pour ériger ou développer leurs structures scientifiques. Depuis Londres, le diplomate Bernardino Rivadavia, venu de Buenos Aires, convainc Bonpland de se rendre dans cette ville pour y transférer ses connaissances scientifiques et créer un laboratoire d'histoire naturelle. Ce terrain scientifique, relativement négligé jusqu'alors, séduit Bonpland, qui y voit aussi l'opportunité de compléter l'exploration effectuée avec Humboldt. La création d'un laboratoire, le transfert d'un savoir et d'une expérience comme la fondation d'une tradition scientifique sont d'autres motifs poussant le Français à se rendre à Buenos Aires avec sa compagne Adeline Delahaye et la fille de celle-ci au début de l'année 1817.
Mais jusqu'en 1858 le contexte politique de formation et d'affrontement des nations l'empêche de concrétiser ses projets. Nommé professeur d'histoire naturelle et de médecine, Bonpland initie une exploration vers le Paraguay en 1820. Il s'installe le long du fleuve Paraná pour explorer, mais aussi développer une activité économique liée à l'exploitation des ressources naturelles parmi lesquelles la yerba mate dont l'usage en tant que boisson stimulante est largement répandu dans la région. Il se place alors sous la protection des autorités des provinces voisines du Paraguay — Corrientes, Misiones, Entre Ríos. Le dictateur paraguayen José Gaspar Rodríguez de Francia perçoit cette présence non seulement comme une menace sur le commerce de cette importante ressource qu'il entend monopoliser, mais aussi comme l'instrument des provinces voisines pour occuper un territoire qu'il revendique. Aussi décide-t-il en 1821 d'occuper l'exploitation de Bonpland, d'enlever ce dernier et de le placer en résidence surveillée aux abords de l'ancienne mission jésuite de Santa María de Fe. Bonpland y développe une activité économique florissante jusqu'à sa libération intervenue en 1831.
L'année suivante, Bonpland projette une nouvelle exploration englobant la province de Corrientes, le Chili, la Patagonie et Tucumán mais ne la réalise finalement pas, tout comme il ne donne pas suite à plusieurs offres de postes académiques en Amérique du Sud. En l'absence de dynamique scientifique locale, il tente d'envoyer et de faire publier ses recherches en Europe, mais le manque d'outils, d'ouvrages, de communications avec les grands centres scientifiques français ainsi que la publication de recherches menées à leur terme par d'autres voyageurs-naturalistes le confinent peu à peu dans un rôle périphérique. Ses collections, rassemblées entre 1817 et 1858 et conservées au Muséum national d'Histoire naturelle, ont été utilisées ponctuellement mais l'ensemble n'a jamais donné lieu à une publication d'envergure.
Au cours de cette période, la recherche fondamentale s'efface au profit de la recherche appliquée. Les explorations de Bonpland s'apparentent de plus en plus à des excursions et ses recherches botaniques à un travail d'ingénieur agronome. Formé à l'acclimatation d'espèces végétales et animales à Malmaison, il poursuit cette forme de recherche appliquée de son arrivée à Buenos Aires jusqu'à sa disparition. Son expérience paraguayenne le transforme en cultivateur, éleveur et médecin. Ces dimensions supplantent définitivement la dimension scientifique du personnage au cours des années 1830 lorsqu'il fonde deux établissements agricoles le long du río Uruguay, de part et d'autre de la frontière argentino-brésilienne, d'autant que la guerre qui embrase la région entre 1835 et 1852 empêche une nouvelle fois l'exploration du territoire. En Argentine, il rêve de créer, à partir du terrain de Santa Ana obtenu en emphytéose grâce au gouvernement de la province de Corrientes, un nouveau Malmaison associant culture et élevage. Si les événements politiques l'en empêchent, l'essentiel de son activité est néanmoins tourné vers la valorisation des ressources naturelles.
Lors de la dernière décennie de sa vie, Bonpland s'ancre définitivement dans la province de Corrientes, où il privilégie l'exploitation agricole aux recherches et aux récits scientifiques. Bien qu'il s'engage dans la création d'un centre d'histoire naturelle provincial à la demande du gouverneur Juan Pujol, cet investissement demeure symbolique comparé à l'activité menée en tant qu'entrepreneur agricole sur les terrains qu'il tente de mettre en valeur. L'acquisition en pleine propriété du terrain de Santa Ana en 1856 est pour lui une dernière opportunité, survenue trop tardivement, de créer une ferme modèle regroupant les cultures les plus utiles à la province permettant la valorisation économique du territoire.
De cette vie scientifique caractérisée par le pragmatisme il faut retenir enfin son activité médicale foisonnante qui représente un aspect de ses recherches appliquées assez méconnu. Dès sa captivité paraguayenne, Bonpland a recours à la médecine pour subvenir à ses besoins. Il utilise une pharmacopée hybride inspirée des traitements européens comme américains et fait de cette activité une source de revenus et de sociabilité essentielle, particulièrement avec les classes dirigeantes locales.
Aimé Bonpland est façonné par la Révolution française puisqu'en 1792 il arrive à Paris, sert dans la Marine puis revient dans la capitale jusqu'en 1798. De 1798 à 1804, Humboldt et lui côtoient des élites créoles qui, inspirées par les révolutions américaine et française, débattent des liens politiques entre l'Espagne et ses colonies. Bonpland revient en Europe imprégné de cette expérience et prend rapidement position en faveur des indépendantistes. Il est aussi façonné par l'Empire napoléonien et semble développer une culture politique bonapartiste. Bonpland propose ses services à Napoléon ier en 1808 pour se rendre à nouveau en Amérique afin d'établir des relations diplomatiques entre la France et les indépendantistes hispano-américains. Sa démarche n'aboutit pas et il faut attendre 1814 pour que des contacts réguliers s'instaurent entre le Français et les indépendantistes, particulièrement avec le néo-grenadin Francisco Antonio Zea et le rioplatense Bernardino Rivadavia. Bonpland choisit le Río de la Plata car le projet scientifique proposé est novateur et car Buenos Aires semble hors de portée des forces loyalistes espagnoles.
Bonpland y dénonce l'obscurantisme de l'Espagne mais aussi, dans un contexte politique instable, les divisions partisanes déchirant les indépendantistes. Sa culture politique bonapartiste oriente son discours et ses actes. Il recherche un homme providentiel capable de rétablir l'ordre et de mettre en place un État unifié dans cette partie de l'Amérique. Faisant successivement l'éloge de plusieurs dirigeants opposés politiquement mais le séduisant par leur capacité à unifier les provinces du Río de la Plata, Bonpland se rapproche des fédéralistes de Corrientes partisans d'une autonomie des provinces vis-à-vis du pouvoir central exercé par Buenos Aires. À Corrientes, le bon gouvernement qui, selon Bonpland, est incarné par le modèle européen des Lumières, se développe non seulement dans le discours mais aussi, fait rare pour l'espace et le temps évoqués, dans les actes. En outre, les lois et la pratique politique de la province de Corrientes sont nettement plus favorables aux étrangers que celles de la province de Buenos Aires. Or, les questions de la protection des droits des Français et du rayonnement de la France sont intimement liées dans l'esprit de Bonpland comme dans celui de beaucoup de ses compatriotes installés outre-Atlantique.
Entre 1840 et 1842, Bonpland s'engage politiquement aux côtés des forces de Corrientes et de leurs alliés, principalement en tant que négociateur auprès du gouvernement uruguayen de Fructuoso Rivera. Cet engagement s'explique par l'intervention armée de la France contre Buenos Aires à partir de 1838 ; il plonge ses racines dans un patriotisme érigeant la France en modèle politique. L'image que Bonpland se construit de son pays à travers le prisme bonapartiste lui confère un rôle de bienfaiteur jamais démenti : depuis 1808, lorsqu'il fait de l'action de la France napoléonienne une condition du bonheur des Américains, jusqu'en 1854, lorsqu'il écrit à Napoléon iii pour lui demander d'aider le Río de la Plata à atteindre la stabilité.
Après que la France a tenté de vaincre Buenos Aires mais échoué par deux fois en 1840 et 1849, la résurrection de l'Empire lui redonne confiance en l'action de son pays. Ce geste épistolaire est signifiant dans le sens où il permet à Bonpland de redonner à son pays un rôle de sauveur, avec l'espoir jamais assouvi que le Second Empire devienne la main invisible capable de guider et d'éduquer les Américains. La création d'un État civilisé passe selon lui par l'intervention française qui est un devoir pour imposer le sentiment public, l'ordre et le progrès dans cette partie de l'Amérique. Le discours de Bonpland relatif au rôle de la France dans le Río de la Plata est empreint d'une croyance dans l'intervention externe comme solution aux problèmes internes. La France doit être selon lui l'arbitre des conflits régionaux et se doit de participer à l'épanouissement d'une civilisation prolongeant l'expérience révolutionnaire française.
Les travaux de Bonpland en matière d'histoire naturelle américaine liés à son attirance pour ce continent le placent aux sources de l'américanisme. Bonpland développe une sensibilité transfrontalière qui s'oppose au morcellement de la zone en plusieurs États-provinces et chemine d'une posture scientifique vers un américanisme engagé dans la construction identitaire et le développement provincial. Un déterminisme géographique et culturel guide le Français, la base de la civilisation de cette partie de l'Amérique reposant d'après lui sur l'intérieur du territoire, particulièrement sur les Missions qui représentent une source abondante de richesses préservées par l'héritage jésuite.
Bonpland pense aussi que le devenir de la civilisation de cette partie de l'Amérique repose sur un transfert culturel de l'Europe vers ce qu'il juge être une périphérie encore à l'état de nature. En Amérique, il faut selon lui un relais pour transférer et faire émerger le modèle européen, c'est-à-dire un homme providentiel. Ce devenir dépend à ses yeux de la capacité non seulement des individus mais aussi des masses d'irriguer le cœur rural grâce à un travail raisonné de mise en valeur du territoire. Il est nécessaire pour cela de favoriser l'immigration européenne et d'intégrer l'ensemble des habitants à ce processus, y compris les peuples natifs. Bonpland y participe également à titre personnel : au cours des années 1840 il fonde une famille et s'enracine le long de l'Uruguay, entre Argentine et Brésil.
À partir de la fin des années 1840, la région connaît un regain d'activité scientifique. Bonpland tente d'intéresser Porto Alegre à la création d'un muséum, mais c'est à Corrientes que le Français prend la direction honorifique d'un centre scientifique créé en 1854 à l'initiative du gouverneur Juan Pujol. Ce musée impulsé par les Expositions Universelles européennes fait coïncider l'offre et la demande scientifique, grâce à une production externalisée de la connaissance destinée à recenser les ressources naturelles de la province afin de les faire connaître en Europe. Alors que le musée de Corrientes se met péniblement en place et que celui de Porto Alegre demeure à l'état de projet, Bonpland propose d'en créer un autre à Asunción pour favoriser une dynamique scientifique régionale ainsi qu'une coopération transatlantique.
Ces dernières tentatives américaines périclitent et c'est en France que ses recherches sont utilisées d'abord très partiellement par Alcide d'Orbigny, puis par Alfred Demersay et Victor Martin de Moussy, ce dernier intégrant le milieu des américanistes qui se constitue à travers les revues et les sociétés savantes transatlantiques. En participant à la fondation de l'américanisme en France grâce aux recherches de Bonpland, en replaçant ces recherches au sein de la discipline en gestation, Martin de Moussy surtout permet à Bonpland de s'insérer discrètement dans la construction d'une tradition scientifique américaniste.
L'expérience d'Aimé Bonpland invite à réfléchir sur les conditions nécessaires au transfert d'une science et sur l'idéologie qui la porte. En suivant son parcours on assiste à la rencontre manquée entre un naturaliste porteur d'un projet universaliste, fondé sur un modèle européen visant à inventorier la nature, et des élites qui, en Amérique, souhaitent mettre en place une politique spécifique privilégiant l'utilisation des ressources naturelles à des fins de développement interne. Or, les notions de progrès et de développement économique n'acquièrent une portée réelle qu'à partir du moment où les liens nationaux, transnationaux et transatlantiques se consolident, au cours des années 1850.
Le parcours de Bonpland témoigne également de la construction fractionnée des nations sud-américaines. Il participe à l'apparition d'une culture politique mêlant le clanisme colonial et les formes nouvelles de sociabilité politique nées de l'indépendance. Or, les problématiques politiques présentes au sein du Río de la Plata entraînent une fragilisation et une fragmentation des projets, des réseaux et des communications qui s'avèrent être un obstacle difficilement surmontable pour les indépendantistes comme pour le Français.