Missions pédagogiques et circulation des idées pédagogiques dans l’espace transatlantique au...
Au XIXe siècle, les missions pédagogiques constituent l’un des vecteurs majeurs de la circulation des...
« Le département d'éducation a un objet en vue avec cette exposition et il mettra tout en œuvre pour l'atteindre. Nous croyons que le citoyen américain est supérieur à celui de toute autre nation. Nous souhaitons démontrer cela à toutes les nations étrangères et leur présenter clairement et distinctement le système d'éducation qui le produit.1»
Ce mot du directeur du département d'éducation de la commission des États-Unis en charge de l'Exposition de Paris, Howard J. Rogers, illustre bien l'importance de l'exposition scolaire américaine à l'Exposition universelle de 1900. Pour les autorités états-uniennes, l'enjeu est alors considérable. Ceci s'explique en partie par la faiblesse relative des expositions scolaires américaines lors des précédentes Expositions internationales. Comme le commissaire à l'éducation des États-Unis, William T. Harris, l'explique : « en 1889, presque rien n'avait été fait en vue de la réalisation d'une exposition sur l'éducation américaine - tout juste une petite alcôve avec très peu d'ouvrages.2» Sur ce point, après avoir vu l'exposition scolaire américaine en 1889, Ferdinand Buisson, le directeur de l'enseignement primaire français, avait exprimé ses regrets de ce que « les renseignements, sans faire défaut, ne s'imposaient pas aux regards des visiteurs : on les trouvait en les cherchant, mais il fallait les chercher.3»
Onze ans après l'Exposition de 1889, les États-Unis ne pouvaient donc se permettre de présenter une exposition scolaire médiocre dans la capitale française. Il en allait non seulement de la fierté mais du prestige national que les États-Unis entendaient fonder. Dès l'origine conçue « d'un point de vue résolument national », l'exposition scolaire américaine de 1900, installée dans une galerie de 325 m2 du Palais de l'Éducation sur le Champ de Mars, avait pour but de présenter « un résumé des meilleures méthodes éducatives du pays.4» Pour ce faire, les autorités en charge de l'exposition avaient demandé aux surintendants des écoles de New York, Chicago, Boston, St. Louis, Washington, D.C., Albany, Newark, Omaha et Denver de préparer des documents mettant en lumière le travail scolaire de leur ville, en veillant à trouver des modes de présentation attrayants. À cet égard, deux villes se distinguent nettement : New York et Washington, D.C.
Dans la capitale, William B. Powell, le surintendant des écoles publiques blanches, embauche la photographe Frances B. Johnston pour préparer une série de 350 photographies illustrant la pédagogie innovante et la vie des écoles de la ville. En présentant des activités scolaires organisées autour de l'idéal du learning by doing, ces photographies révèlent alors au public parisien l'éducation progressiste, centrée sur l'enfant, proposée aux élèves des écoles publiques. Comme Howard J. Rogers l'explique,
« Le résultat fut un succès remarquable, stupéfiant même pour les Américains et presque incompréhensible pour les étrangers. Les scènes de classe (...) étaient reproduites de manière si vivante et si clairement que l'exposition fut l'une des meilleures démonstrations concevables des possibilités de notre système scolaire.5»
Cette série de photographies est présentée au ministre de l'Instruction publique Georges Leygues et se voit attribuer une médaille d'or par le jury international. En reconnaissance de son travail, le gouvernement français décerne également à Johnston les palmes académiques en 1905.
Sélection de photographies présentées à l'Exposition
Si ces photographies offrent alors au public parisien une vision saisissante du progressisme dans l'éducation américaine, les autorités scolaires de New York vont encore plus loin. Utilisant un projectoscope développé par Edison, elles projettent seize films d'une durée de trois minutes - accompagnés d'un phonographe rendant le son - présentant des scènes de la vie scolaire new-yorkaise. Lors de la première projection, une réception est organisée, à laquelle les membres du jury international et les responsables de l'Exposition sont invités. Parmi eux, Gabriel Compayré, le recteur de l'académie de Lyon, est émerveillé par la projection. D'après lui, ces « conférences d'un genre inédit » ne constituent que la partie émergée d'un effort notable des autorités états-uniennes pour donner à voir l'ampleur de l'œuvre réformatrice accomplie aux États-Unis en matière éducative. En effet, les autorités en charge de l'exposition scolaire n'ont rien laissé au hasard pour émerveiller le public parisien : de la façade monumentale en bois représentant une phase de l'architecture américaine caractéristique de cités comme Chicago aux placards muraux en chêne conçus pour mettre en avant les travaux des élèves, en passant par la distribution de 5000 exemplaires d'une série de monographies sur l'enseignement américain rédigées par « les plus grands noms de la pédagogie américaine6».
À l'époque, Compayré est loin d'être le seul à exprimer son admiration pour le régime pédagogique américain présenté à Paris. En effet, l'exposition scolaire américaine reçoit rien moins que 85 prix du jury international en 1900 dont un grand prix spécial attribué sur la motion spéciale de Ferdinand Buisson au système américain d'enseignement du dessin. En réponse à cet intérêt et au souhait manifesté par les autorités françaises d'acquérir certains éléments de l'exposition scolaire, la commission américaine cède au ministère de l'Instruction publique de nombreuses pièces, notamment deux placards muraux contenant des documents en lien avec le travail réalisé au kindergarten ; quatre autres provenant des écoles élémentaires du Massachusetts ; cinq autres présentant le travail scolaire réalisé à New York (quatre pour l'enseignement primaire et un pour le secondaire) ainsi que vingt-huit albums de photographies des écoles publiques de la ville ; et trois placards muraux présentant la vie des écoles de Washington, D.C.
En 1900, les autorités en charge de l'exposition scolaire américaine ont ainsi offert au public parisien un spectacle singulier : une plongée au cœur de l'éducation et de la culture scolaire américaines. Cette exposition, conçue comme une vaste opération marketing visant à diffuser le progressisme éducatif américain, rencontre alors un franc succès. Si l'on suit l'analyse qu'en propose Compayré dans le rapport du jury international, son résultat aura été « d'accroître la connaissance et par suite l'admiration d'un régime pédagogique qui met les États-Unis au premier rang parmi les nations qui veulent et savent instruire et élever leurs enfants7».
Howard J. ROGERS , « The United States Educational Exhibit at Paris in 1900 », dans National Education Association, Journal of Proceedings and Addresses, (Chicago, University of Chicago Press, 1899), 254, nous soulignons.
William T. HARRIS, « Letter from the United States Commissioner of Education to the U.S. Bureau of Education, in relation to education at the Paris Exposition of Education, September 4, 1897 », in U.S. Senate, Message from the President of the United States Transmitting the Report fo the Special Commission to the Paris Exposition of 1900, Washington, Government Priniting Office, 1897, p. 59.
Ferdinand BUISSON, « L'enseignement primaire à l'exposition universelle de 1889 », Revue Pédagogique no 2, vol. 16, (13 février 1890): 99.
Howard J. ROGERS, « Report of the Department of Education and Social Economy », in U.S. Senate, Report of the Commissioner-General for the United States to the International Universal Exposition, Paris, 1900, vol. 2, (Washington, Government Priniting Office, 1901), 337.
Ibid., 350.
Gabriel COMPAYRÉ, « États-Unis », dans Ministère du commerce, de l'industrie, des postes et des télégraphes Rapports du jury international. Groupe I. Éducation et enseignement. Première partie. Classe 1, (Paris, Imprimerie nationale, 1902), 730-732.
Ibid., 755.