Les tournées de Sarah Bernhardt dans les Amériques
Centré sur les tournées de l’artiste Sarah Bernhardt (1844-1923) aux Amériques et spécialement au...
Depuis les premières décennies du xixe siècle, un grand nombre de femmes et d'hommes de diverses origines ont circulé d'une rive à l'autre de l'Atlantique. Beaucoup ont été les destinataires, quelques-uns les initiateurs, de périodiques rédigés dans les langues les plus variées, produits, lus sur place ou conçus pour être expédiés de l'autre côté de l'océan. Les travaux conduits par les chercheurs réunis au sein du réseau Transfopress montrent que la presse allophone (rédigée dans une langue qui n'est pas la langue nationale ou l'une des langues, s'il y en a plusieurs, du pays dans laquelle elle est produite) est un vecteur essentiel et dynamique, bien qu'insuffisamment exploré, de mise en circulation de textes littéraires, d'idées, parfois d'idéologies, d'avancées scientifiques et techniques, de modes, d'images, de modèles éditoriaux, de pratiques commerciales et de bien d'autres choses, entre les deux rives de l'Atlantique. La place et le rôle exacts de ces médias dans les mécanismes d'appropriation culturelle et linguistique demeurent à préciser. Nous ne savons rien par exemple de ce qui circule ou a circulé, en matière de presse en langues étrangères, à partir de et vers l'Afrique. Les organes en langues étrangères ont néanmoins contribué très tôt aux connexions entre l'Europe et les Amériques. Cette mise en communication de continents éloignés les uns des autres a participé au processus de mondialisation culturelle et de constitution d'un système médiatique global, ainsi qu'à la création d'espaces transnationaux, donc transculturels, plus particulièrement au xixe siècle. Ce processus s'est amplifié par la suite avec le développement, puis la généralisation de la société de l'information et de la communication.
Grâce à qui, et pour quels lecteurs, cette presse contribue-t-elle aux échanges transatlantiques ? Quels contenus et quels modèles médiatiques circulent, dans quelles langues, dans quels sens et à quelles époques ? Telles sont les questions auxquelles nous nous efforcerons d'apporter des premiers éléments de réponse, liés à l'état des travaux.
Nombreux sont ceux — très différents les uns des autres, mais tous passeurs néanmoins, à leur manière — qui contribuent aux circulations transatlantiques par le biais de la presse en langue étrangère.
Certains émigrés européens en quête d'une vie meilleure de l'autre côté de l'Atlantique deviennent de véritables go-between entre leur groupe ethnique et la nouvelle société qui les entoure grâce à la publication de journaux.
La presse « ethnique » a, dans l'ensemble, été bien étudiée lors des rencontres annuelles Transfopress. Il en est ainsi des périodiques italophones publiés en Argentine, au Brésil et aux États-Unis. Il en est de même pour les journaux en allemand lancés en Argentine, au Mexique et aux États-Unis. Les publications dans d'autres langues du nord de l'Europe ayant vu le jour aux États-Unis ont, elles aussi, attiré l'attention des chercheurs. Des recherches ont été faites sur les journaux en grec et en portugais.
Les émigrés économiques sont parfois précédés ou rejoints par des exilés politiques, à l'image de ces mineurs de charbon français renvoyés à la suite de leur participation à des mouvements de grève qui, à la fin du xixe siècle, s'installent dans le Kansas, dans le Mississipi et en Pennsylvanie1 ; de ces anarchistes, de ces antifascistes italiens, et de ces « radicaux » scandinaves ou allemands réfugiés aux États-Unis. Tous publient des journaux. Des Russes fuyant le régime soviétique, des Bulgares redoutant l'installation du communisme dans leur pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale et des Juifs d'Europe centrale, victimes de pogroms et d'incessantes discriminations, ont cherché refuge outre-Atlantique. Ils se sont le plus souvent exprimés par le biais d'organes qui leur étaient propres.
L'expatriation transatlantique est parfois volontaire comme celle de certaines communautés religieuses chargées de répandre la bonne parole2, de ces hommes d'affaires britanniques installés, qui dans les îles Canaries, qui à Rio de Janeiro3, de ces Français qui ont pignon sur la rua Ouvidor et deviennent de véritables Cariocas, ou celle de ces aventuriers, comme Théodore Ber, artisan-tailleur de profession parti tenté sa chance en Amérique du Sud en y lançant des journaux4. En quête de bonnes affaires, ils tentent leur chance dans la presse.
En sens inverse, d'Amérique latine — de Cuba, d'Uruguay, du Chili et de San Salvador — des jeunes gens de bonne famille partent pour la France, dès la première moitié du xixe siècle, faire des études, souvent médicales. Formés à Paris, à Bordeaux ou à Toulon, certains d'entre eux, une fois diplômés, s'installent dans l'Hexagone où ils rédigent des revues spécialisées (en espagnol) destinées à faire connaître les avancées de la science européenne en Amérique latine5. D'autres retournent dans leur pays, où ils contribuent à la modernisation de la médecine locale. Au tournant du siècle, les élites latino-américaines arrivent plus nombreuses en Europe dans le but de promouvoir leurs productions, qu'elles soient agricoles, comme les viandes argentines, ou intellectuelles, comme celles du poète nicaraguayen Ruben Dario (1867-1918), venu guérir son « complexe de Paris6 » dans la capitale française. Dans les décennies qui suivent artistes, femmes et hommes de lettres états-uniens, débarquent en France et en Italie, afin de participer à la vie culturelle. Plus tard, dans la seconde moitié du xxe siècle, des exilés chiliens et argentins, fuyant les dictatures militaires, sont accueillis en Europe, en France notamment7.
Prennent part à ce vaste va-et-vient transatlantique quelques journalistes transculturels, parmi lesquels des Français, comme Paul-Marc Sauvalle, dont Hans-Jürgen Lüsebrink a suivi le parcours de la France au Mexique, en passant par la Louisiane et le Canada8, Altève Aumont repéré par Valeria Guimarães qui est à l'origine de la création à Rio de Janeiro de L'Écho du Brésil et de l'Amérique du Sud (1859-1860)9, Henri Plasson qui écrit aussi bien, comme le montre Isabel Lustosa10, dans O Moderador, nouveau courrier du Brésil. Jornal politico, commercial e litterario (1830) que dans Le Courrier du Brésil (1854-1862). Quant à René Masson, rédacteur en chef du Trait d'Union (1849-1892), il est considéré comme le plus grand journaliste français du Mexique au xixe siècle11, malgré la présence d'Alfred Ebelot, un ancien de la Revue des deux mondes, à la rédaction du Courrier de La Plata12.
Par leur intermédiaire et par celui de quelques intellectuels à l'instar d'Alberto Larroque et d'Alexis Peyrat, vivant dans le Rio de la Plata, des pratiques professionnelles, des genres journalistiques, une multitude de modèles éditoriaux ou médiatiques, des images, des textes circulent avec une rapidité insoupçonnée jusqu'ici, d'un côté à l'autre de l'Atlantique.
En raison de la grande variété de ses initiateurs comme de ses destinataires, l'éventail des contenus que la presse en langue étrangère met en circulation dans l'espace transatlantique est très large. Cette presse est le moteur d'une intense et constante circulation de connaissances, et de genres médiatiques de toutes sortes. Les représentations qu'elle véhicule, les transferts culturels auxquels elle donne lieu témoignent fréquemment des appropriations culturelles, mais également linguistiques en cours, et donc d'une dynamique progressive. L'exemple du mensuel The Southern Cross, journal des Irlandais d'Argentine, est particulièrement éclairant. Fondé en 1875 à Buenos Aires par un prêtre catholique, il existe toujours aujourd'hui. Désormais totalement rédigé en espagnol, seul son titre, encore en anglais, rappelle une filiation celte revendiquée, tout comme les informations fournies sur les cours de danse folklorique.
Qu'elle soit le résultat d'une migration d'est en ouest, ou dans l'autre direction, la presse en langue étrangère est presque toujours porteuse de nouveautés, voire d'innovations peu ou pas accessibles jusqu'alors, là où elle arrive ou est publiée. Pendant une bonne partie du xixe siècle, ces éléments de modernité traversent majoritairement l'Atlantique de l'Europe vers les Amériques. Vers la fin du siècle et tout au long du suivant, les vents tournent. Américains du Nord, comme du Sud, débarquent en Europe avec, dans leurs bagages, des œuvres, des produits, des savoir-faire et, souvent aussi, des vies à reconstruire.
Grâce aux allers-retours transatlantiques de ces périodiques, ce sont en premier lieu des nouveautés littéraires, intellectuelles et artistiques qui transitent. À Paris, une importante presse en espagnol est publiée au cours de la seconde moitié du xixe siècle, à destination des pays d'Amérique centrale et du Sud. Entre 1842 et 1886, El Correo de Ultramar. Periódico político, literario, mercantil y industrial fait paraître au rez-de-chaussée de sa première page les feuilletons français les plus récents, traduits en temps record13. Ils partent vers La Plata et La Havane, mais aussi à destination de Valparaiso, de Mexico, du Guatemala, de Bogota et de Porto-Rico. L'idée de ce bimensuel est née aux Caraïbes dans la tête de deux hommes d'affaires français. Pour Bernard Granier de Cassagnac et Xavier de Lassalle, l'Amérique latine manque d'informations en provenance d'Europe. Sans doute ont-ils été perspicaces, la longévité du Correo témoigne de leur flair, de même que le nom de certains de ses plus fidèles lecteurs : Lautréamont, Ricardo Palma, Julio Nombela et José Maria Torres Caicedo14.
À côté de ce journal, lancé pour être exporté, il existe, au sein de la communauté latino-américaine de Paris, des intellectuels et des scientifiques qui, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, ont voulu participer à l'effervescence culturelle qui règne dans la capitale française. Le cas de l'écrivain romantique brésilien Domingos José Gonçalves de Magalhaes, de ses collaborateurs — qui forment le dit « groupe de Paris » — et de leur emblématique revue Nitheroy. Revista brasiliense, sciencias, lettras e artes (1836), publiée à Paris chez Dauvin et Fontaine, est à cet égard remarquable.
La revue est considérée au Brésil comme étant à l'origine de la naissance du courant romantique brésilien, voire de la littérature nationale. Elle est pourtant loin d'être la seule, comme le souligne le premier recensement établi par Raphaël Quintela15. Dans la dernière décennie du siècle, la luxueuse Revista moderna, magazine quincenal ilustrada (1897-1899), publiée à Paris, mais qui circule surtout au Brésil et au Portugal, s'adresse avec ses gravures, ses photographies et ses rubriques mondaines, sportives, de mode, artistiques, ses reportages, mais également ses poèmes et ses textes littéraires, aux riches caféiers et à leurs semblables qui lorgnent sur la vie parisienne.
En 1912, le Péruvien Francisco Garcia Calderon Rey, fils du président de la République et futur diplomate, est à l'origine de la création à Paris de la Revista de America (1912-1914), une revue littéraire à laquelle collaborent l'historien Hubert Bourgin, ainsi que des Brésiliens comme l'homme de lettres Manuel de Oliveira Lima. Ce périodique, au cœur du réseau des écrivains latino-américains de Paris, a pour vocation de faire connaître leurs œuvres en Europe. Un an avant Mundial Magazine, artes, ciencias, historia, teatros, actualidades, modas, lancé par le poète moderniste nicaraguayen Ruben Dario dans la capitale française, est « destiné à faire œuvre de culture [...] pour le public hispano-américain », tout comme Elegancias (1911-1914). El Nuevo Mercurio (1907) de l'homme de lettres guatémaltèque Enrique Gomez Carillo et la Revue sud-américaine (1914), dirigée par l'Argentin Leopoldo Lugones et rédigée en français, à laquelle contribuent Clémenceau, Paul Adam et Paul Fort, semblent prouver la volonté des intellectuels latino-américains de contribuer à la diffusion de leur production de ce côté-ci de l'Atlantique.
Avides de suivre les évolutions de la mode parisienne, les hommes et les femmes des classes montantes d'Amérique du Sud attendent avec impatience l'arrivée des magazines en provenance de Paris avec les derniers modèles et, parfois des patrons, comme en proposent dans ses pages El Museo de los sastres. Periodico ilustrado. Modas de Paris para hombre, señoras y niñas (1863-1937), version en castillan du Musée des tailleurs. La longévité de ce périodique montre l'intérêt porté par les lectrices et les lecteurs latino-américains à l'élégance européenne. Dans les années 1910, les fashionistas mexicaines de Veracruz et de Xalapa, comme celles sans doute de bien d'autres villes d'Amérique Latine, lisent le magazine La Vie parisienne. Cette lecture est en effet considérée, par Carlos Fuentes dans Les Années avec Laura Diaz, comme essentielle pour toutes celles qui souhaitent être habillées à la mode de Paris16.
Si les élites latino-américaines aiment être vêtues à l'européenne, elles veulent également être aussi bien soignées que sur l'autre rive de l'Atlantique, soit par des médecins formés en France, soit par des praticiens qui sont tenus au courant des dernières avancées de la science, grâce aux revues médicales en espagnol publiées à leur intention à Paris. Au cours des dernières décennies du xixe siècle, certains fabricants français de produits pharmaceutiques, comme Grimault et Cie, font de la réclame pour leurs remèdes en espagnol et en portugais, à destination des patients sud-américains, par le biais d'almanachs publicitaires17.
Un peu plus tard apparaissent des revues en espagnol pour la promotion du négoce européen, comme América Latina. Revista de propaganda europea en las Republicas latinoamericanas (1914-1921). La promotion des milieux d'affaires latino-américains est l'objet d'El Correo latino-americano. Paris-Bruxelles. Organe des intérêts de l'Europe et de l'Amérique latine (1898-1904), qui fournit à ses lecteurs des informations sur les cours du café, du sucre et du cacao. Ce périodique est distribué gratuitement, à plusieurs milliers d'exemplaires, dans les hôtels, les chambres de commerce et les cabinets de lecture, d'une trentaine de pays.
Pour les membres de la « bohemia latina18 » de Paris, avides de profiter des distractions qu'offre la ville, des publications sont disponibles en espagnol. Les expositions universelles sont l'occasion pour certains éditeurs parisiens de concevoir et de mettre en vente des périodiques éphémères, comme L'Écho de Paris/Eco de Paris (15 septembre 1866-8 juin 1867), dédiés à ces évènements exceptionnels qui attirent des visiteurs du monde entier, parmi lesquels quelque 13 500 Latino-Américains en 1878. Les Américains du Nord et les Canadiens anglophones qui visitent l'Europe, la France (y compris les trois départements algériens) et l'Italie19 plus particulièrement, peuvent s'informer sur les distractions locales dans les journaux publiés sur place. The Algerian Advertiser (1888-1915) et The Atlas (1892-1912), tous deux présentés comme anglo-américains, proposent dans leurs pages tous les détails relatifs aux principales manifestations sportives et mondaines auxquelles les voyageurs peuvent participer. The Parisian Bell or the Paris and London Advertiser (1842-1851), dont la plupart des pages sont dédiées aux excursions, aux représentations théâtrales et aux expositions, est disponible gratuitement dans de nombreux hôtels. Plus tard dans le siècle, The American Register for Paris and the Continent (1868-1912), offre à ses lecteurs nord-américains des news, mais aussi des suppléments hebdomadaires consacrés au sport et à la finance. En Italie, ils peuvent s'informer sur les questions artistiques et culturelles dans Naples and Florence Observer (1864-1874), puis dans Broom. An International Magazine of the Arts. Published by Americans in Europe (1921-1924)20.
L'humour tout comme la satire traversent l'Atlantique, véhiculés eux aussi par la presse allophone. La Sátira de ambos mundos. Revista mensual de chismes politicos y literarios, burlas, bromas, risa, chispazas... por una Sociedad de escritores de buen humor (1850-1867) orne ses pages de caricatures à l'intention des lecteurs du Nouveau Monde. Les anglophones présents en Europe peuvent, quant à eux, se tourner vers The Parisian Review of Facetious Literature (1880) pour rire et s'amuser dans une langue et un humour qui leurs sont familiers. Nombreux sont ces organes à être porteurs de modèles médiatiques novateurs.
Aux multiples échanges transatlantiques qui viennent d'être évoqués, s'ajoute une circulation de modèles médiatiques précoce, intense et rapide. Au début du xixe siècle, les premiers almanachs21, lecture du peuple par excellence, en français, arrivent sur les rives du Canada et des États-Unis. Ce type de périodique annuel, comportant une partie calendaire, a également circulé en allemand et en polonais dans le Rio Grande do Sul (Brésil).
Pour les lecteurs plus cultivés, plus ouverts sur le monde, plus avides d'informations récentes, le journal d'information fait son apparition en anglais, mais également en français, sur le modèle européen. Oliver Marshall montre, dans son répertoire de la presse d'information en anglais publiée en Amérique latine22, qu'il en a existé — et il en existe toujours — dans presque tous les pays de ce sous-continent, le plus souvent en lien avec les milieux d'affaires et s'inspirant du modèle anglo-saxon. En Argentine, plus d'une cinquantaine de titres en anglais ont été publiés, la plupart à Buenos Aires, parmi lesquels le Buenos Aires Herald. A World of Information in a Few Words est le plus célèbre. Ce quotidien de qualité, fondé en 1876, a cessé de paraître en août 2017, après un siècle et demi d'existence. Entre 1976 et 1983, il est l'un des seuls organes à avoir osé s'élever contre la dictature. Au Brésil, la presse en anglais fait une première et rapide incursion à Rio de Janeiro, en 1828, avec The Rio Herald. Ce journal est suivi par The Anglo-Brazilian Times (1865-1884), plus pérenne, puis par d'autres organes d'information générale dans les dernières décennies du siècle. À Valparaiso, au Chili, où une communauté britannique s'est installée avec le développement du commerce maritime, l'hebdomadaire South American Gazette est lancé en 1828. The Chilian Times and Mercantile & Shipping Gazette for the West Coast of South America (1867-1907) est, quant à lui, d'une plus grande longévité. Enfin The Santiago Times, conçu en 1990, n'existe plus que sous forme électronique.
Des organes d'information francophones circulent aussi dans les Amériques. Le Courrier des États-Unis (1828-1940) publié à New York occupe, avec ses quelque 16 000 abonnés, une place centrale dans le système médiatique de cette ville jusqu'au milieu du xixe siècle. À la Nouvelle-Orléans, tout comme en Californie, la presse d'information en français est bien présente. En Argentine, Le Courrier du Rio de la Plata assure le transfert de pratiques éditoriales européennes. Au Brésil, entre 1860 et 1930, de nombreux périodiques francophones ont été publiés, comme Le Courrier du Brésil ou le Messager de Saint-Paul (1901-1924), dont l'influence tant littéraire que médiatique, a été mise en évidence par les chercheurs brésiliens. Au Mexique, la collection Lartilleux de journaux francophones parus entre 1849 et 1982, conservée au Centro de Estudios Mexicanos y Centroamericanos (CEMCA), témoigne d'une certaine « sensibilité commune » aux deux nations, notamment dans le domaine médiatique. Au Pérou, les journaux francophones voient le jour avec l'arrivée d'un nombre croissant — 300 vers 1825, 3000 à 4000 dans les années 1850-1880 — de migrants venus exploiter des richesses naturelles locales. Le Corsaire de Lima est le premier. Fondé en 1866, il est suivi par le Journal du Pérou (1872-1873), L'Union nationale (1872), L'Étoile du Sud (1874) et L'Écho du Pérou (1886-1887). Si le rôle joué par ces publications éphémères sur la naissance et le développement des journaux péruviens est à ce jour difficile à évaluer, celui des pratiques culturelles introduites par les Français vivant à Lima est important, en particulier dans le domaine de la mode vestimentaire et de la sociabilité des cafés.
Le circuit transatlantique suivi par le modèle de la revue de critique littéraire, tel qu'il a été élaboré en Écosse au tout début du xixe siècle, avec le lancement de l'Edinburgh Review en 1802, est exemplaire. Il est imité à Paris par Antonio Giovanni Galignani lorsqu'il conçoit, cinq plus tard, The Monthly Repertory of English, or an impartial criticism of all books relative to literature, arts, sciences, history, architecture, commerce, chemistry, physics, medicine, theatrical productions, poems, novels... (1807-1818) ; puis en 1825 par la Revue britannique, ou choix d'articles des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne; et, quatre ans après par la Revue des deux mondes et la Revue de Paris.
Dans cette ville, dont le tropisme intellectuel et artistique s'affirme, le diplomate et homme de presse brésilien Francisco Solano Constancio, de retour de séjours à Washington et en Écosse, conçoit et publie l'Esprit des revues anglaises. Analyse critique des revues trimestrielles d'Édimbourg et de Londres (1841-1842) dans laquelle, à l'image de la Revue britannique, il propose une sélection d'articles traduits de l'anglais. Fortement impressionné par le nouveau modèle médiatique que représente la revue de critique littéraire, cet homme de lettres lusophone vivant en Europe décide d'en produire une en français. Le destin de la Revue des deux mondes, mais également, ce qui est moins connu, de la Revue britannique et, par là même, du prototype que représente les great quarterlies, The Edinburgh Review (1802- 1920) et The Quarterly Review de Londres (1809-1967), au Brésil, est éclairant quant à la circulation transatlantique des modèles éditoriaux. En effet, comme le montre les travaux de Maria Eulalia Ramicelli23, la Revista Nacional e Estrangeira (1839-1845), puise une large partie de son contenu dans la Revue britannique, donc des reviews écossaise et anglaise. Ainsi, le concept de critique littéraire libre et indépendante, tel qu'il a été mis au point dans les îles britanniques, traverse l'Atlantique dès la fin des années 1830.
Le modèle de la revue humoristique parcourt un chemin assez comparable. Le cas de BA-TA-CLAN, chinoiseries franco-brésiliennes, publié à Rio de Janeiro entre 1867 et 1870 par Charles Berry, qui s'inspire de périodiques français tels que Le Caveau (1850) et de l'humour, à la fois léger et caustique, pratiqué dans les cabarets littéraires parisiens en fournit un exemple. Si le Gil Blas, journal politique, artistique et satirique (1878-1877), publié à Rio, n'est pas le premier périodique de ce genre au Brésil, tous ceux qui sont parus avant lui ont été lancés par des Européens.
La circulation transatlantique de la presse en langue étrangère depuis la fin du xviiie siècle a fréquemment été à l'origine de la formation d'espaces transnationaux, donc transculturels. Le cas de la Transatlantic Review (1924) est, à cet égard, exemplaire24. Fondée par l'homme de lettres britannique Ford Madox Ford à Paris, où est installée sa rédaction, cette revue bilingue est publiée à Londres et à New York. Ernest Hemingway, Gertrude Stein, Ezra Pound et James Joyce, écrivains transatlantiques par excellence, y contribuent, témoignant ainsi de la permanence du mouvement transocéanique mis en œuvre par les périodiques en langue étrangère.
En Louisiane Charles Caron lance La Commune (1871-1873). A Hastings (Mississipi) Le Réveil des mineurs est publié en 1890.
Corriere d'Italia (1913-1927), publié dans le Rio Grande do Sul (Brésil).
Wileman's Brazilian Journal of Trade, finance, Economics and Shipping (1898-1940) publié à Rio, témoigne de la longue présence d'hommes d'affaires anglophones au Brésil.
Théodore Ber, Une Vie dans les Andes : le journal de Théodore Ber (1864-1896) (Paris : Ginkgo éditeur, 2014).
El Eco de Paris, periodico de medicina, cirujia y ciencias auxiliaires (1858-1859).
Jacqueline Sessa, ed., Figures de l'exclu : actes du colloque international de littérature comparée (Saint-Etienne : Publications de l'Université de Saint-Etienne, 1999), 171.
Avant eux, les réfugiés politiques chiliens ont fait paraître à Paris en 1890 La Estrella de Chile. Organe de la colonia chilena en Europa et les cubains La Repùblica Cubana en 1896-1897.
Hans-Jürgen Lüsebrink, "Paul-Marc Sauvalle, un médiateur et journaliste transculturel (France-Mexique-Louisiane-Canada)", V Rencontres Transfopress, Malaga, 5-6 novembre 2015.
Valéria Guimaraes, "Altève Aumont et l'Echo du Brésil et de l'Amérique du Sud (Rio de Janeiro 1859-1860)", V Rencontres Transfopress, Malaga, 5-6 novembre 2015.
Isabel Lustosa, "Henri Plasson e a primera impresa francesa no Brasil (1827-1831)," Escritos 9 (2015): 76-93.
Jacqueline Covo-Maurice, "Un grand journaliste français au Mexique au XIXe siècle : René Masson et le Trait d'union", Caravelle 78 (2002): 105-125.
Viviane Oteiza, Le Courrier de la Plata. Un diario republicana francés en el Rio de la Plata (Saarbrücken: Editorial Academia española, 2012).
Diana Cooper-Richet, "La presse hispanophone parisienne au xixe siècle : El Correo de Ultramar et les autres", Cédille. Revista de estudios francesas 16 (2019): 51-77.
Diana Cooper-Richet, "Paris y los ambos mundos: une capitale au cœur du système de production et de mise en circulation de livres et de journaux, en espagnol, au xixe siècle", Cahiers des Amériques latines 72-73 (2013): 210.
Raphaël Quintela, Les Périodiques brésiliens en France au xixe siècle (master diss., université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2013).
Carlos Fuentes, Les Années avec Laura Diaz (Paris: Gallimard, Folio, 2001[1999]), 97, 105.
L'Almanaque parisiense (1882-1890) et l'Almanaque de la parisiense (1894-1896) contiennent 80 % de publicité et 20 % de conseils médicaux ou relatifs à l'hygiène.
Diana Cooper-Richet, Michel Pierssens, "Bohemia latina," In Bohème sans frontière, dir. Pascal Brissette, Anthony Glinoer (Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2010): 279-93.
En Italie, ils peuvent s'informer sur les questions artistiques et culturelles dans Naples and Florence Observer (1864-1874), puis plus tard dans Broom. An International Magazine of the Arts. Published by Americans in Europe (1921-1924). Je remercie Isabelle Richet pour ces informations.
Je remercie Isabelle Richet pour ces informations.
Hans-Jürgen Lüsebrink, York-Gothart Mix, Jean-Yves Mollier, Patricia Sorel (dir.)., Les Lectures du peuple en Europe et dans les Amériques du xviiie au xixe siècle (Paris: Complexe, 2002).
Oliver Marshall, The English Language Press in Latin America (Londres : Institute of Latin American Studies, 1996).
Maria Eulalia Ramicelli, « La Revue britannique à Rio de Janeiro au xixe siècle ». In Le Commerce transatlantique de librairie, un des fondements de la mondialisation culturelle (France-Portugal-Brésil, xviiie-xixe siècle), dir. Diana Cooper-Richet, Jean-Yves Mollier (Campinas: Publiel, 2012), 135-49.
Bernard J. Poli, Ford Madox Ford and the Transatlantic Review (Syracuse: Syracuse University Press, 1967).