Les années yéyé : des chansons américaines sous-titrées ?
Au début des années 1960, les chansons yéyé sont réputées responsables d'une irruption massive de...
Le mot « makossa » signifie contorsion, déhanchement. Lorsqu'on enlève « ma », le terme « kossa » est régulièrement utilisé par les chanteurs pour inciter les danseurs à se trémousser davantage et les musiciens à redoubler d'efforts dans le jeu des instruments. Le makossa est à la fois une musique urbaine et une danse née dans la ville de Douala au Cameroun dans les années 1950. Ses pionniers ont cherché leur inspiration dans les variétés françaises, le high-life du Ghana, la rumba congolaise, la biguine des Antilles, le merengue dominicain et les rythmes latino-américains. L'ouverture du littoral camerounais sur l'océan Atlantique a permis l'intensification des hybridations musicales et l'insertion du makossa dans des réseaux commerciaux dominés par deux pôles majeurs (la France et les États-Unis) et des pôles secondaires qui ont émergé dans le reste de l'Europe, dans les Amériques et même en Afrique, parallèlement à la densification des flux migratoires des populations camerounaises. En se globalisant, le makossa a fortement contribué à nourrir d'autres formes musicales présentes dans l'Atlantique.
Dans les années 1950, à Douala, il est possible d'écouter le mambo du Trio Matamoros et la biguine de Sam Castandet sur les disques afro-cubains édités par la firme britannique EMI sous le label GV. De même les chansons de Tino Rossi, Eddy Mitchell, Sacha Distel sont diffusées sur les ondes de Radio-Douala. Sur la Voix de l'Amérique (VOA) et la British Broadcasting Corporation (BBC), le jazz et, plus tard, le funk et la soul font le bonheur des musiciens locaux. L'émission qui marque le plus les esprits est celle de Georges Collinet, Maxi voum voum, diffusée sur la VOA de 1960 jusqu'à 1990. Le makossa est la résultante de ces transferts culturels rendus possible grâce à l'implantation de la radio à Douala dans l'entre-deux-guerres, aux importations de disques et aux nouveaux instruments introduits par les coastmen et les soldats de passage ou vendus par les commerçants grecs, portugais et libanais. Aussi appelés « popos », les premiers sont des hommes venant de la côte occidentale de l’Afrique qui ont servi comme auxiliaires de bureau durant la période coloniale. Au sein des coastmen, il y a des personnes d’origine diverse (Nigeria, Cameroun, Mauritanie, Sénégal, Côte d’ivoire) qui, par le truchement de l’Océan Atlantique, se sont installées dans des pays situés sur les côtes africaines et ont facilité les circulations de musique et de danse.
Emmanuel Nelle Eyoum est considéré comme le père du makossa. C'est lui qui, pour la première fois, prononce ce mot lors d'une prestation au Flambeau bar, à Douala, dans sa chanson Mot'a Ogono mo asi ma nanga ndabo. Dès 1958, ce style est popularisé dans les autres villes du pays par le groupe les Négro Styl. Le makossa connaît ses premiers succès à l'échelle continentale avec le musicien Eboa Lotin qui représente le Cameroun au festival panafricain d'Alger en juillet 1969. Le genre croît ensuite et se diversifie dans les années 1970 et 1980, devenant makossa new wave, makossa pop, makossa funk, makossa soul, etc., selon l'inspiration du compositeur.
Avec des artistes comme Jo Tongo ou Charles Lembe, la musique camerounaise est déjà bien présente à Paris dans les années 1970, notamment au nord de la capitale, dans le 18me^ arrondissement et dans le département de la Seine Saint-Denis, où se concentre la population immigrée. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur en 1976, sur les 80 000 Africains ressortissants du Sud du Sahara en France, 30 000 sont résidents à Paris et 11 000 en Seine-Saint-Denis. Mais le makossa se fraie difficilement un chemin chez les majors. En France, rares sont les musiciens auxquels Pathé, Atlantic ou Philips acceptent de donner une chance. C'est le cas de Dikoto Madengue, Ashanty Tokoto, Manu Dibango. L'essentiel de la diffusion des musiques africaines repose sur ce que le journaliste Achille Ngoye appelle une « économie parallèle » greffée autour des maisons de disque indépendantes telles que Sonodisc et Safari Ambiance.
Il faut attendre 1973 et le formidable succès du titre Soul Makossa aux États-Unis pour que le genre musical s'impose sur les marchés occidentaux. Ce morceau de Manu Dibango, enregistré en France et lancé par Decca en 1972, connaît d'abord un accueil mitigé. Ni le public ni l'industrie musicale française ne lui prête véritablement attention. Le déclic s'opère au moment où le disc-jockey David Mancuso découvre le disque de Manu Dibango dans une boutique antillaise d'Utica Avenue à Brooklyn et en fait un hit dans son club privé, le Loft. Très vite, les DJs américains s'arrachent le morceau dont le célèbre Frankie « Hollywood » Crocker qui le programme sur la radio afro-américaine WBLS. Soul Makossa conquiert les Noirs, les Blancs autant que les Latinos ; et devient un ingrédient capital pour le développement du disco.
Toute cette effervescence incite Ahmet Ertegun, le directeur d'Atlantic Records à distribuer le disque aux États-Unis. À son invitation, Manu Dibango entame une tournée de 24 représentations au Théâtre d'Apollo de Harlem en compagnie des Temptations, se produit au Constitutional Hall de Washington avec le groupe Osibisa et au Yankee Stadium avec les Fania All Stars devant 50 000 spectateurs. En août 1973, Soul Makossa entre dans le top 100 des meilleures ventes et diffusion radio établi par le magazine Billboard : il y reste neuf semaines consécutives, monte jusqu'à la 21e^ place et cumule 2 millions d'exemplaires à la fin de l'année. De retour en France, Manu Dibango est invité pour la première fois à jouer en tant que tête d'affiche à l'Olympia de Paris du 14 au 17 mai 1977.
Car si les États-Unis sont le lieu de consécration du makossa, la France demeure un pôle majeur de production et de diffusion de ce style musical. Dans les années 1980, l'arrivée de la gauche au pouvoir et la loi qui autorise la création des stations privées de radiodiffusion permettent au genre musical de sortir de l'espace communautaire où il demeurait essentiellement confiné auparavant.
Figure de la contre-culture, le journaliste Jean-François Bizot contribue, avec le critique et producteur Philippe Conrath, à la promotion du makossa dans les médias français. Le makossa est diffusé à la radio : sur France Inter, dans l'émission « Pollen »1, sur Radio France Internationale dans « Canal Tropical »2. Mais aussi à la télévision sur France 3, dans l'émission « Spécial Beaubourg »3, pour ne citer que cet exemple. Le makossa intègre la « Sono mondiale » que Jean-François Bizot appelle de ses vœux dans les colonnes du magazine Actuel4.
De l'autre coté de la manche, le développement de la world music, porté par des stars comme Paul Simon et Peter Gabriel, qui mêlent sonorités africaines et musique pop, et la création de nouveaux labels indépendants comme Real World ouvrent de nouveaux marchés au makossa à partir des années 1980.
Depuis les années 1970, le makossa a fait l'objet de réappropriations variées et complexes dans l'espace atlantique. Certains titres ont été adaptés, sans autorisation préalable, par des chanteurs nord-américains et européens. James Brown découvre ainsi Hot Koki du musicien camerounais André Marie Tala lorsqu'il se rend à Kinshasa en 1974 pour participer au concert géant pour l'ouverture du combat de boxe opposant Mohammed Ali à George Foreman. La chanson, diffusée sur les radios zaïroises, capte l'attention de James Brown, qui en fait une reprise The Hustle en 1975. L'histoire se répète avec Soul makossa de Manu Dibango qui, en 1982, voit son refrain samplé par Michael Jackson dans Wanna Be Startin' Somethin' sur l'album Thriller. Les démêlés judiciaires autour de l'affaire augmentent encore la renommée internationale de la chanson, dont le succès est durable : en 2007, la chanteuse Rihanna intègre une partie du refrain dans son titre Please, don't stop the music.
Il est arrivé aussi qu'un morceau entier de makossa soit repris, chanté dans une autre langue. Demis Roussos reprend la chanson Elongi de Ekambi Brillant sous le titre Kyrila. Suivent deux versions : l'une en anglais et l'autre en allemand. Plus récemment, à l'occasion du Mondial de football en 2010, Shakira s'est également inspirée de la chanson Zangalewa du collectif Golden Sounds pour le refrain de la chanson Waka waka.
Le succès obtenu par le makossa en Occident n'est pas resté sans effets sur les auteurs-compositeurs de ce style musical vivant au Cameroun. Le makossa de la décennie 2000 a pris une forme jugée commerciale en intégrant davantage de technologie, en s'appliquant au traitement sonore, et la langue Douala qui jusque-là avait le quasi-monopole dans les chansons fait place désormais aux langues qui ont un rayonnement international telles que l'anglais et le français. C'est une nouvelle page du genre musical qui est en train de s'écrire.
Émission musicale créée en 1984, animée par Jean-Louis Foulquier depuis les salles parisiennes et diffusée sur France Inter. Elle est produite par Radio France. Disponible à l'INAthèque, Fonds INA-Radio France.
Émission musicale animée par Gilles Obringer à partir du 28 septembre 1981, produite et diffusée par Radio France Internationale. Disponible à l'INAthèque, Fonds Radio France International.
Émission du 29 mai 1977 portant sur l'immigration, enregistré au centre Pompidou à Beaubourg et animée par Jean-Michel Dhermay. Disponible à l'INAthèque, Fonds Mosaïque.
Les archives du magazine Actuel sont consultables à la Bibliothèque Nationale de France, site François Mitterrand, depuis sa première édition en octobre 1968, côte 4-JO-22034.