Éducation
Le champ de l’éducation est marqué dès le XVIIIe siècle par d’intenses échanges transatlantiques. Les...
On pourrait dire que l'espace atlantique est né de l'imagination littéraire, si on le fait remonter à l'Atlantide mythique de Platon (Timée), et s'il faut une preuve supplémentaire de l'inspiration littéraire particulière qui naît de la découverte de l'Amérique, comment ne pas penser à l'invention de l'Utopie par Thomas More ? Mais si un imaginaire de l'Atlantique perdure (Jules Verne ne découvre-t-il pas les restes de l'Atlantide dans Vingt Mille Lieues sous les Mers ? ou Blake et Mortimer dans L'Énigme de l'Atlantide d'Edgar P. Jacobs ?), c'est l'Atlantique en tant qu'aire culturelle commune aux quatre masses continentales qui est le sujet commun des notices rattachées à cette rubrique.
Il pourrait cependant paraître presque incongru d'inclure une rubrique « littératures » dans un tel projet, si l'on soutient que l'écriture relève d'une expression éminemment personnelle, en marge de l'histoire culturelle. Mais cette activité littéraire à la marge façonne la culture, elle fait qu'à côté des classiques du patrimoine national toujours lus et révérés (surtout dans la vénération arnoldienne du xixe siècle), le corpus du lisible s'accroît sans cesse de nouveaux écrits. Dans le cas particulier du mouvement occidental de définition des identités régionales qui se confond presque avec la période de référence du projet, les productions littéraires ont fortement servi de marqueur identitaire central dans la construction des États-nations.
L'écrivain n'est cependant pas seulement à la fois une voix individuelle originale sur une condition humaine partagée et l'héritier d'une identité culturelle qu'il contribue à mettre en valeur, contradiction relevée par James Joyce dans les dernières lignes de l'autobiographique Dedalus: « Bienvenue, ô vie ! Je pars, pour la millionième fois, chercher la réalité de l'expérience et façonner dans la forge de mon âme la conscience incréée de ma race1. » Joyce lui-même serait l'exemple paroxystique d'une écriture qui renvoie à des sources culturelles multiples, protéiformes, intercontinentales. L'écriture se nourrissant de circulations culturelles mondiales, quelle pertinence une histoire culturelle simplement atlantique peut-elle avoir ?
Une première direction est de prendre en compte l'expérience historique partagée de l'Atlantique post-colombienne. Dans le cas des États décolonisés, la problématique de l'identité culturelle se compliquait de la réappropriation d'une langue qui restait celle de l'ancienne puissance impériale. Si, selon le modèle occidental, l'enseignement des histoires littéraires nationales (mais aussi régionales) a aussi eu dans les Amériques un rôle identitaire structurant, la prise en compte de l'héritage littéraire commun avec l'ancienne tutelle a pu être problématique. Mais comme ailleurs le roman national contribue à occulter l'importance des circulations intellectuelles internationales qui ont profondément irrigué la création littéraire. Il s'agit de prendre en compte le caractère « atlantique » des mouvements littéraires dont une approche strictement nationaliste ne permet pas de pleinement saisir l'ampleur internationale (exemple : romantisme européen/transcendantalisme états-unien). Sans exclure que d'autres interactions aient eu leur importance, il s'agit ici de poser l'hypothèse d'un cadre théorique nouveau, une « histoire littéraire transatlantique » attentive aux circulations littéraires complexes dans le monde atlantique, y compris quand elles dépassent les barrières de la langue.
Une seconde direction est d'envisager les genres et mouvements littéraires qui ont irrigué la création dans l'espace atlantique, au-delà des littératures attachées à une langue. La périodicité pourrait être un point commun de cette aire culturelle atlantique où se sont inscrits les mouvements littéraires :
1) L'époque charnière des révolutions - des années 1770 en Amérique du Nord aux années 1820 en Amérique du Sud. La relation entre la langue, la tradition culturelle et l'identité nationale est remise en question. La littérature est le principal véhicule du récit national, se ramifiant dans de nouveaux genres littéraires originaux avec le romantisme ;
2) Paradoxalement, la modification du statut de l'écrivain, dont l'identité individuelle est reconnue et même célébrée. Il n'est plus le protégé du Prince chargé de peaufiner son image. Bientôt son copyright sera reconnu. Un exemple parmi d'autres : comment Melville fit-il publier The Whale à Londres et traversa l'Atlantique à la hâte pour le faire publier aux États-Unis avant que personne ne puisse le prendre de vitesse ?
3) Modernisme, Postcolonialisme, Postmodernisme dans les arts visuels (avant-garde) et dans la littérature. Quand la vieille mimesis aristotélicienne, qui avait évolué en réalisme et naturalisme au xixe siècle dans sa tentative de décrire de plus en plus scientifiquement la vie de l'homme, atteint la prise de conscience de l'irreprésentable, de l'inaccessible - le moment freudien. Le modernisme recherche de nouveaux modes de représentation qui ne seraient pas mimétiques, tandis que le postmodernisme se concentrera sur son échec.
Enfin, l'un des enjeux est de braquer le projecteur sur les vecteurs et passeurs de cette circulation transatlantique littéraire, et pas seulement dans le sens Europe-Amériques. Il s'agira, d'une part, de cartographier les moments, les circuits, les méthodes et les vaisseaux de ces circulations littéraires transatlantiques, d'autre part de signaler, à travers des notices individuelles courtes, certains passeurs ou couples de passeurs représentatifs de ces circulations littéraires/écrivains transatlantiques.
Deux grandes catégories de notices comprennent cette rubrique : une série de concepts, modes de circulation, pratiques, modèles et genres envisagés dans leur dimension intercontinentale, certaines de ces entrées étant aux confins d'autres rubriques comme « édition » et « intellectuels », d'autre part des notices plus courtes sur des individus représentatifs des circulations culturelles en matière de littérature. Si, on l'a dit, rien n'est plus personnel et individuel que l'œuvre d'un écrivain, force est de constater que les exemples abondent d'écrivains qui se sont définis en considérant d'autres écrivains du monde atlantique : qu'on songe à Baudelaire forgeant la figure de l'écrivain maudit en imaginant Poe dans son milieu, Balzac s'inspirant de Scott ou Cooper, de Andrade de Montaigne, Faulkner de Balzac, Flaubert ou Conrad, Camus de Faulkner, Daoud de Camus, Vargas Llosa de Flaubert, etc. Enfin, à côté des écrivains, il faut faire la part à ces médiateurs essentiels que sont les agents littéraires, les traducteurs, les critiques.
James Joyce, A Portrait of the Artist as a Young Man, 1916. Dedalus (Paris: Gallimard, 1974), 368.