Aimé Bonpland
Le parcours d’Aimé Bonpland met en relief les interactions et les attractions scientifiques,...
1821 : Napoléon ier meurt dans l'Atlantique, la Société de Géographie naît à Paris. Et le siècle qui suit est, pour certains Français, une épopée napoléonienne sublimée. Adhérer à une Société de Géographie1 est un moyen de dépasser le repli sur soi et sur le territoire national et sans doute n'est-ce pas un hasard si la première Société de Géographie se fonde peu de temps après Waterloo. Pendant le siècle qui suit cette fondation, outre le soutien aux explorateurs l'un des rôles des Sociétés françaises de Géographie fut d'offrir par procuration des voyages à des sédentaires, de présenter la géographie comme une récréation, une évasion, voire une fête. Tout, plutôt que la « morne plaine » de Waterloo. Vulgariser, donner à voir et à imaginer aux sédentaires de métropole, procurer des traversées des océans et des mers, et pendant un siècle le voyage transatlantique vers l'Afrique ou l'Amérique a été privilégié, qu'il consiste en une exploration réelle ou en un simple récit de voyage. Certes, la Méditerranée est toujours la mare nostrum et la « mer intérieure » des Européens ; et il faut éditer les planches et dessins, manuscrits et imprimés, de l'expédition d'Égypte, mais il faut aussi se lancer dans le sillage des voyages de circumnavigation du siècle des Lumières.
Isthme entre la Méditerranée et l'Atlantique, cap avancé du continent européen, la France a une vocation commandée par la géographie, relayée par des souvenirs anciens, comme ceux de la France australe, au sud de l'Atlantique, et du Canada, plus récents comme celui de la guerre d'Indépendance nord-américaine, des souvenirs appuyés par la réalité des Antilles françaises, de la traite des Noirs, de l'esclavage et du naufrage de la Méduse.
Ce dernier (1816) pose dramatiquement la question du savoir — naviguer, survivre... — et les Sociétés de Géographie sont des sociétés savantes, des sociétés de pensée, incarnant le savoir, l'apprentissage des connaissances, la transmission et la vulgarisation, par l'exploration, puis par la colonisation, conjointement par l'impression des bulletins et par l'oralité des conférences. Dans tous ces domaines de la pensée et de la réalité sociale, les Sociétés de Géographie françaises, qui sont doyennes, donnent le « la », au travers de l'Atlantique, aux sociétés américaines, tard venues (la première est celle de New York, née en 1851), et bien moins puissantes que les françaises. Prenons, en effet, deux dates qui offrent des chiffres fiables et comparables à travers le monde. En 1881, la France compte 9 500 membres de Sociétés de Géographie (31,7 % du total mondial), les États-Unis seulement 1 200 membres ; en 1894 les 30 Sociétés françaises de Géographie ont 18 700 membres (34,9 % du monde entier), soit deux fois plus qu'en 1881, en chiffres absolus, les 15 Sociétés américaines de Géographie 4 000 membres (7,5 %).
Les Sociétés de Géographie et autres Geographical Societies cherchèrent à faire partager à un public éclairé le goût d'une géographie signifiante qui relevait surtout de l'exploration. « Les voyageurs ont tracé des sillons de lumière autour du globe, mais entre ces sillons il reste de grands espaces encore couverts de ténèbres plus ou moins épaisses2 », déclara en 1822 Conrad Malte-Brun. En français et dans de nombreuses langues, voyage et voyageur furent synonymes, respectivement, d'exploration et d'explorateur. Le voyageur parcourait le monde, par opposition au géographe « de cabinet ». Le nombre des Sociétés de Géographie ne s'accrut que lentement même si celle de Paris (1821) fut souvent imitée avant 18683. Au début, elle ne furent guère que de simples « sociétés de pensée », sans préoccupations coloniales. Elles connurent une première mutation en raison des conquêtes coloniales et de la géographie commerciale. Le scramble, la « course au clocher » et la Première Guerre mondiale les conduisirent plus encore à se transformer.
Le siège actuel de la Société de Géographie de Paris (1878) accueille toujours le visiteur avec un globe et deux cariatides représentant le « voyage à pied » et le « voyage par mer », deux vaillants symboles qui regardent résolument vers le Sud-Sud-ouest, vers l'Afrique occidentale et l'Atlantique central et méridional.
Les Sociétés de Géographie ont pour tâche de subventionner les voyages, d'aider tout type d'explorateurs, et de décerner prix et médailles. Quand Étienne Hulot (1857-1918) — lui-même prix Monthyon 1889 pour De l'Atlantique au Pacifique à travers le Canada et le nord des États-Unis paru chez Plon en 1888 — devient secrétaire général de celle de Paris, on assiste à une véritable inflation du nombre des prix avec une moyenne annuelle de 23 récompenses entre 1896 et 1914, puis de 15 prix lors de la Grande Guerre. Entre autres personnages : le futur amiral Albin Roussin (1781-1854), encore capitaine de vaisseau, est chargé, après le naufrage de La Méduse (1816), de l'exploration hydrographique des côtes occidentales de l'Afrique, puis, en 1819, celles du Brésil. Ida Pfeiffer (1797-1858) se rend, quant à elle, au Brésil, au Chili, au Canada et en Louisiane.
Alors que, selon Voltaire, il est « bien difficile en géographie comme en morale de connaître le monde sans sortir de chez soi », les membres de la Société de Paris sont surtout des géographes de cabinet, qui voyagent « par procuration4 ». À l'exception, il est vrai, d'un Dumont d'Urville ou d'un Antoine d'Abbadie. En revanche, à la Société de Londres, les véritables « voyageurs » abondent : parmi les sept fondateurs figurent les noms de John Barrow, premier Britannique à avoir voyagé en ballon avant de naviguer dans les mers arctiques ; de Robert Brown, botaniste de l'expédition Flinders vers les côtes de l'Australie ; de Mounstuart Elphinstone, longtemps expatrié au service de la Compagnie des Indes Orientales, et de l'amiral et hydrographe William Smith.
Les voyages « par procuration » ont une fonction festive et récréative. Ils sont aussi source d'inspiration, notamment pour Jules Verne et ses Voyages extraordinaires. Celui-ci s'inspire pour La Jangada (1881) d'articles de l'abbé Durand et de Rafael Reyes5 sur l'Amazonie brésilienne parus dans le Bulletin de la Société de Géographie. Son Olivier Sinclair du Rayon vert (1882), dont les voyages maritimes antérieurs ressemblent étrangement aux siens, entonne ainsi un hymne aux découvertes maritimes :
« Quoi de plus beau que ces découvertes ! Traverser pour la première fois l'Atlantique avec Colomb, le Pacifique avec Magellan, les mers polaires avec Parry, Franklin, d'Urville et tant d'autres, quels rêves ! Je ne peux voir partir un navire, vaisseau de guerre, bâtiment de commerce ou simple chaloupe de pêche, sans que tout mon être ne s'embarque à son bord ! Je pense que j'étais fait pour être marin, et si cette carrière n'a pas été la mienne depuis mon enfance, je le regrette chaque jour ! »
Dès les années 1822-1842, la Société de Géographie de Paris admet en son sein de nombreux étrangers. Par ordre décroissant, on trouve la Russie avec 15 membres, la Grande-Bretagne et les États-Unis avec 14 adhérents chacun, l'Empire ottoman avec 10 et l'Égypte avec sept admissions. Voilà qui souligne l'attrait géographique, touristique et politique pour ces derniers pays, surtout à l'époque de la Monarchie de Juillet. La place de la Grande-Bretagne ne surprend guère. Celle des États-Unis non plus, si l'on considère la thèse de René Rémond6. Enfin, les pays d'Amérique latine totalisent 16 admissions. Les relations des Sociétés françaises avec les Sociétés étrangères sont cordiales, intellectuelles et intéressées — on échange des publications — mais sans contribuer à fédérer l'essor de la géographie. Non seulement l'intérêt porté hors de France est fondamental, non seulement la Société française de Géographie récompense très souvent des voyageurs étrangers, mais les géographes admettent les étrangers parmi eux, avec grande facilité : ainsi le Néerlandais Walckenaër ou le Danois Conrad Malte-Brun, ex- Malthe-Conrad Brüün.
Alexandre de Humboldt (1769-1859), fils d'une riche famille prussienne, effectua en 1790 son premier voyage à Paris, et tenta, avec Aimé Bonpland, de faire en 1798 partie de l'expédition d'Égypte. Son grand voyage en Amérique, de 1798 à 1804, est fort connu. Pendant 20 ans, sa vie fut ensuite consacrée à la publication d'ouvrages monumentaux, relatant ses voyages ou ayant pour sujet d'autres pays du monde qu'il n'avait pas visités. Vivant à Paris jusqu'en 1827, fréquentant les salons et les cercles intellectuels et scientifiques, il fut en 1821 de la première commission centrale de la Société de Géographie et c'est à Paris qu'il publia, entre 1805 et 1834, son imposant Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent. En 1828, il participa à la création d'une nouvelle Société de Géographie, à Berlin.
En outre, il y a des « correspondants étrangers ». Ils sont au nombre de trente en 1840 : sept d'entre eux habitent aux États-Unis, cinq résident en Grande-Bretagne, trois dans la Confédération germanique et trois au Danemark. En bonne place parmi eux, figure le « colonel » Joel R. Poinsett, né et mort en Caroline du Sud (1779-1851), représentant de son État avant d'être nommé ambassadeur auprès d'Agustín de Iturbide, devenu empereur du Mexique. Poinsett est ensuite correspondant de la Société de Géographie de Paris en 1827, alors qu'il s'est converti en planteur du riz près de Georgetown. Poinsett avait le goût des sciences, tout particulièrement de la botanique : il contribua à la fondation de l'Institut national pour la promotion de la science et créa une nouvelle fleur, dérivée d'une fleur mexicaine, qu'il baptisa la « Poinsettia ».
Le rôle de David B. Warden (1772-1845) fut beaucoup plus important. En effet, il fut membre dès le début de la commission centrale de la Société parisienne et y participa très activement jusqu'à sa mort. Déchargé de toute fonction officielle outre-Atlantique, il se consacra entièrement à faire connaître les États-Unis en France. Il publia des annales historiques des différentes régions d'Amérique et un grand ouvrage de synthèse sur les États-Unis ; ce fut un compilateur et un collectionneur acharné qui rassembla plantes, animaux et insectes, publia des études, des brochures, une biographie de Jackson et d'innombrables articles. Il évoquait très fréquemment les États-Unis lors des séances, et participa au comité du Bulletin, dans lequel il écrivit très souvent des articles et des comptes rendus. Son zèle fut récompensé par une vice-présidence du bureau en 1833. Grâce à lui, le Bulletin s'intéressa aux liens entre les États-Unis et leur colonie du Liberia.
L'empereur du Brésil Pedro ii, au goût avéré pour la culture, entra à la Société de Géographie de Paris en 1868 comme membre à vie. Peu avant de prendre la décision d'abolir l'esclavage (1888), il assista le 1er décembre 1887 à une séance de la Société de Géographie de Marseille, dont le local « avait pris, pour cette circonstance, un air de fête7 ». De facto, il en devint membre d'honneur.
À la fin du xixe siècle, les effectifs de la Société de Géographie de Paris sont moins modestes qu'autrefois vis-à-vis de ses rivales à l'étranger : en 1878, avec ses 1 624 membres, elle est la deuxième du monde derrière la Société de Géographie de Londres (3 334 membres), mais devant Rome (1 476 adhérents) et New York (1 200 seulement). En 1889-1890, elle demeure au second rang derrière Londres (3 322) mais devance Berlin (1 049). À cela, il faut ajouter que le pullulement des Sociétés françaises nouvelles explique qu'elle ne représente déjà plus à elle seule, en 1878, que 7,7% des membres de l'ensemble des sociétés, à l'échelle mondiale.
Les étrangers sont toujours accueillis comme membres dans les Sociétés françaises de Géographie, mais, en raison de la multiplication des Sociétés étrangères et de l'attrait exercé localement par les Sociétés françaises, la proportion des étrangers diminue. Le phénomène est notable à la Société de Géographie de Paris, tandis que s'opère un changement de leur répartition géographique, dans le sens d'une plus grande dispersion. La Russie, la Grande-Bretagne et les États-Unis voient donc leur part diminuer, tandis que la Société de Géographie de Paris se met à recruter des ressortissants de Tunisie, de Java, du Siam ou du Paraguay. En 1879, elle compte neuf Brésiliens et sept Nord-Américains. Le développement, relatif, des Sociétés de Géographie à l'étranger fait qu'il n'y a plus en France les noyaux d'étrangers d'autrefois : des 86 membres qui sont signalés comme résidant à l'étranger en 1869, 11 habitent l'Amérique latine, et des 144 comptés en 1873, 15 sont originaires d'Amérique latine et 5 de Grande-Bretagne.
Pendant un siècle, le voyage transatlantique vers l'Afrique ou l'Amérique a été privilégié, qu'il consiste en une exploration réelle ou un simple récit de voyage. La Société de Géographie de Paris s'attire ainsi les bonnes grâces des compagnies commerciales. Elle obtient, par exemple, un billet à prix réduit sur les lignes de la Compagnie générale transatlantique pour Paul Lévy, « qui se rend au Nicaragua, pour y accomplir une mission scientifique8 ». Un grand intérêt est porté à l'Afrique occidentale. La première exploration sérieusement subventionnée par le gouvernement français est celle de l'abbé Debaize, en 1878, à travers l'Afrique, de l'océan Indien à l'océan Atlantique. Le rapport de Pascal d'Avezac concernant en 1857 des « considérations géographiques sur l'histoire du Brésil9 » est un article-fleuve, à l'image même de l'Amazone, qui coule de la page 89 à la page 356 en incluant 123 pages d'appendices.
Une illustration patente de cet intérêt est constituée par le médecin de première classe et explorateur du nord de l'Amazonie, Jules Crevaux (1847-1882). À la séance du 3 juin 1881, le président de la Société de Géographie, « fait remarquer la présence et annoncer le départ, pour le lendemain, du noir Apatou, compagnon dévoué du docteur Crevaux dans ses voyages dans l'Amérique équatoriale ».
Les princes sont également de la partie. Albert ier de Monaco, souverain de la Principauté à partir de 1889, joue un rôle pionnier dans le domaine de l'océanographie. Ses campagnes commencent en 1885 dans l'Atlantique, son premier voyage faisant l'objet d'une conférence à la Société de Géographie de Paris, le 22 janvier 1886. D'assez nombreux membres de la famille d'Orléans figurent dans les listes de la Société de Géographie de Paris. Le comte de Paris lui-même, est admis à la séance du 17 mars 1871, ce qui permet à un membre de souligner qu'aux États-Unis il s'est livré « à de sérieuses études scientifiques, et particulièrement sur la géographie et l'ethnographie ». En conséquence, le comte de Paris est « non seulement un ami de la science, mais un véritable savant10 ».
L'ancien communard Élisée Reclus (1830-1905) entra à la Société de Géographie et y joua un rôle d'envergure : sa candidature fut acceptée le 16 juillet 1858. La Commission centrale l'accueillit en son sein en 1859. Il publia la même année dans le Bulletin son premier article, soulignant les « horreurs de la conquête » coloniale. Il joua jusqu'en 1871 un rôle actif aux séances et défendit souvent l'argument d'une baisse de la population amérindienne du fait de l'irruption des Blancs. À la séance du 20 janvier 1865, la controverse fut vive entre Élisée Reclus — qui martela que les Amérindiens avaient été décimés par les Européens (guerres, maladies, alcool, etc.) — et les membres qui continuaient d'en douter11. Jules Verne partageait le point de vue de Reclus, pour lequel il éprouvait d'ailleurs une réelle admiration.
Percer l'isthme de Panama est une vaste idée qui recueille les faveurs de tous les tenants de la géographie savante : Ferdinand de Lesseps préside une commission d'étude constituée en 1876 par la Société de Géographie, mais l'année suivante c'est le percepteur de Saint-Satur, département du Cher, qui « combat différentes objections faites à son projet de percement du Darien par le Chacunaqua, pour lequel il sollicite la bienveillance de la Société ».
C'est par la double médiation de l'exploration et de la quête de denrées tropicales que les Sociétés de Géographie élaborèrent en de nombreuses langues le concept de « géographie commerciale », c'est-à-dire d'une géographie tournée vers la satisfaction des désirs du négoce européen. De la « géographie commerciale » à la « géographie coloniale », il n'y avait qu'un pas, que franchirent en France la Société de Géographie de Paris, rétive pendant des décennies face à cette orientation, et les Sociétés provinciales qui le firent d'emblée, même si elles n'apparurent que plus tard, dans les années 1870. La colonisation et la notion de « géographie commerciale » (ou de « géographie utilitaire ») dominent entre les années 1860 et la fin des années 1880. On le voit dans tous les pays : l' « internationale » des Sociétés de Géographie12 se nourrit de ce consensus.
À partir des années 1890 commence ce que l'on appelle le scramble, la « course au clocher », c'est-à-dire la ruée des impérialismes rivaux sur les derniers territoires vacants. Les Sociétés de Géographie sont, dans de nombreux pays, partie prenante du « parti colonial » national, qui existe pour tous les régimes politiques, parlementaires ou non, d'Europe occidentale. Les Sociétés françaises de Géographie sensibilisent l'opinion publique à la colonisation, tâche tôt commencée en France, avant la Troisième République et l'action de Léon Gambetta. Elles participent à l'action du « parti colonial » français, aux côtés d'associations nombreuses et variées où l'on retrouve souvent les mêmes hommes. Les Sociétés de Géographie doivent se positionner face au scramble, dont elles n'ignorent ni la réalité ni la signification. La colonisation occupe désormais une place considérable dans le contenu de leurs publications : il s'agit du « partage du monde », comme l'écrit le Bulletin marseillais de 1886, et certaines Sociétés célèbrent des fêtes géographiques et coloniales, rajoutent à leur nom la locution « ... et d'Études coloniales », comme c'est justement la cas à Marseille.
Pour désigner l'ensemble imposant formé par la métropole et l'outre-mer, l'expression de « la plus grande France » apparaît pour la première fois sous la plume de Jacques Léotard, secrétaire général de la Société de Géographie de Marseille, en 1903. Le « drapeau civilisateur » de la France flotte alors, à ses yeux, « sur des territoires dont la superficie atteint près de vingt fois celle de la métropole, avec une population qui dépasse d'un cinquième celle de notre pays ».
À court et à moyen terme, la géographie « utilitaire » développe un nouveau type de voyage, moins intellectuel et plus intéressé, auquel les Sociétés de Géographie Commerciale se préparent. Il en est ainsi des conseils du docteur Harmand dans « Le voyage dans la presqu'île indo-chinoise13 », recommandant la pacotille pour le troc et signalant même une monnaie de cuivre « qu'il y aurait bénéfice à contrefaire ». En 1888, la Société parisienne, nouvellement créée, offre un prix de 2 000 francs en faveur d'un Manuel pratique élémentaire de géographie commerciale à l'usage surtout des enfants qui se destinent au commerce et à l'industrie.
On salue la « poignée de soldats noirs conduits par quelques Européens [qui] combattent dans la proportion de un contre vingt » ou les « braves qui, sur les rives lointaines, soutiennent l'honneur de notre drapeau, consolident notre empire colonial et ouvrent de nouvelles contrées à l'enquête de la science », une « science » devenue pourtant secondaire. Notons que cette évolution est beaucoup plus marquée à la Société de Géographie de Paris que dans celles de l'Étranger. L'intérêt est très vif dans les provinces françaises, comme à Lyon où sont nombreuses les conférences sur le sujet et où la notion de « course au clocher » est très nettement exprimée. De nombreuses notes sur la délimitation des frontières dans les années 1890 sont publiées, notamment dans les Bulletins de province, mais l'état d'esprit dominant est beaucoup plus germanophobe qu'anglophobe, et ceci sans qu'aucun domaine du scramble ne soit omis : les compétitions à l'intérieur de la Chine sont suivies mais c'est bien sûr le continent africain qui focalise l'attention, le Tchad occupant une grande place aux alentours de 1900 et l'accord franco-anglais de 1904 étant salué avec ferveur.
L'entre-deux-guerres signe le déclin des Sociétés de Géographie, à l'exception de celle de Londres. La période imposa à l'étranger nombre de remises en cause et de transformations ; la dislocation de l'Empire austro-hongrois fit ainsi perdre à la Société de Géographie de Vienne ses assises matérielles et une partie de son champ d'action. De très grandes difficultés en résultèrent : moins d'expéditions lointaines, comme à Paris, une réorientation vers les questions de géographie humaine et économique (frontières, peuplement, problème de l'« espace », etc.), et une collaboration nouvelle avec les clubs alpins pour les expéditions en haute montagne (Pérou, Pamir, etc.). Si la Société de Francfort subit une nette diminution de ses membres après la Première Guerre mondiale, les années 1930 signifièrent pour elle, comme pour toutes les Sociétés allemandes de Géographie, l'apparition des excursions et le ralliement au nazisme. On a la nette impression qu'une époque est révolue, celle de l'« internationale » des Sociétés consacrées à la géographie. Cette science a reculé, elle n'est plus véritablement au premier plan de préoccupations qui cessent d'être intellectuelles, pour devenir politiques, coloniales, touristiques et mondaines tout à la fois. Le xxe siècle a vraiment commencé, d'autant plus que se manifestent partout en Europe des institutions de culture concurrentes des Sociétés de Géographie, ces dernières ne pouvant même plus souverainement continuer à songer à la vulgarisation de la géographie : on a bien d'autres moyens de s'informer et de rêver au voyage. Après le second conflit mondial, les Sociétés de Géographie ne réussissent à s'adapter à l'ère de la décolonisation et du néo-colonialisme qu'en se ralliant — c'est le second grand ralliement de leur histoire — à la géographie universitaire. C'est ainsi qu'en 1923, deux ans après le centenaire de la Société de Géographie de Paris, l'Institut de Géographie est inauguré.
Cet article, centré sur les Sociétés de Géographie françaises, s'inspire de ma thèse de doctorat d'État, Les Sociétés de Géographie en France, dans le mouvement social et intellectuel du xixe siècle (Paris: Albin Michel, 1993).
Bulletin de la Société de Géographie (1822-1823): 53.
Berlin (1828), Londres (1830), Saint-Pétersbourg (1845), New York (1851), Genève (1858), Leipzig (1861), Dresde (1863), Turin et Kiel (1867).
Norman Hampson, Histoire de la pensée européenne. Tome IV. Le siècle des Lumières (Paris: Seuil, 1972), 12.
En novembre 1871, janvier et février 1872, et au 2e semestre 1876.
René Rémond, Les États-Unis devant l'opinion française de 1814 à 1852 (Paris: Armand Colin, 1962).
Bulletin de la Société de Géographie de Marseille (1888): 95-96, 102.
Bulletin de la Société de Géographie (2e semestre 1869): 185.
Bulletin de la Société de Géographie (2e semestre 1857).
Louis-Philippe, Albert, d'Orléans (1838-1894). Il est toujours membre au 31 décembre 1882.
Bulletin de la Société de Géographie (1e semestre 1865): 65-71.
Dominique Lejeune, "L'Internazionale delle Società Geografiche : conoscenza del mondo e colonialismo (secoli XIX e XX)," Memoria e Ricerca. Rivista di storia contemporanea (septembre-décembre 2002): 129-147.
Bulletin de la Société de Géographie (1879): 83-92.