Éducation artistique et formation des artistes
L'Atlantique est le théâtre de nombreux échanges dans le domaine de la formation des artistes, et...
Dans le domaine des arts visuels, l'étude des circulations transatlantiques connaît un développement récent, dont l'enjeu principal est la réécriture d'une histoire des arts encore profondément marquée par le récit moderniste ethnocentré, faisant des écoles européennes des beaux-arts les fondements exclusifs du canon, et des avant-gardes européennes des années 1875-1930 le seul moteur des expérimentations formelles. Comme dans d'autres domaines, l'adoption d'un point de vue transatlantique met l'accent sur les circulations multilatérales, en termes d'influences sur les formes et les représentations, d'itinéraires individuels et collectifs, d'échanges matériels et intellectuels. Il permet de donner une vision plus complexe et nuancée des sens de circulation de l'innovation artistique : les traditionnelles représentations reliant des centres (ou capitales artistiques) et des périphéries (ou zones d'influence, de rayonnement) sont bousculées par des travaux de recherches récents, menés dans cette perspective d'une histoire cinétique des arts qui se développent à la fois en Europe (Béatrice Joyeux-Prunel à l'École Normale Supérieure de Paris puis à l'Université de Genève), aux États-Unis (Catherine Dossin à Purdue University, Daniel Quiles à l'Art Institute de Chicago, Michelle Greet à George Mason University, entre autres) mais aussi au Brésil (Ana Paula Cavalcanti Simioni à l'Université de São Paulo), pour ne citer que quelques exemples.
Le prisme des échanges transnationaux invite à considérer l'importance des interactions et des rencontres, des transferts culturels en tous sens, des recherches identitaires diasporiques (décrites par Stuart Hall) ou continentales (du panaméricanisme de José Gómez Sicre aux images « latino-américaines » promues par le Conseil mexicain de la photographie), des phénomènes d'appropriation et de métissage, à toutes les échelles spatiales (entre deux institutions, entre deux villes, entre deux aires culturelles) et temporelles (le temps de l'événement, comme lors des Expositions universelles, des rétrospectives, des biennales et des foires, mais aussi le temps de l'enseignement dans les écoles, les ateliers et les résidences d'artistes, et celui de l'expatriation, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles). Aussi s'attache-t-on à étudier ce qui circule, au plan matériel : des artistes (qui naissent ici, se forment là et exposent ailleurs), des œuvres (qui sont créées ici, vendues là et conservées définitivement dans tel musée où elles peuvent être en réserve ou sur les cimaises), mais aussi des médiateurs humains (critiques d'art, marchands d'art puis galeristes, amateurs et collectionneurs) ou non humains (revues, reproductions, correspondances).
La dimension immatérielle des circulations n'est pas en reste, avec un intérêt fort pour l'évolution dynamique des formes, des goûts et des sensibilités, au prisme des rencontres interculturelles : ce que le déplacement, la « translocation » (Bénédicte Savoy) fait à l'art est bien au cœur de ces travaux qui questionnent les rapports de domination entre aires culturelles, mais aussi les phénomènes de réception, de métissage et de réappropriation des objets ou des individus déplacés. L'intégration d'un artiste dans un microcosme culturel distinct de celui dans lequel il a grandi et été formé (par exemple les Américains du Nord ou du Sud installés à Paris à plusieurs périodes, étudiés par Elisa Capdevila et Michelle Greet) ou celle d'une œuvre d'art dans un espace public nouveau (la statue de la liberté à l'entrée de New York, mais aussi l'art dit primitif à Paris, ou encore les abstractions gestuelles à São Paulo) constituent des cas d'étude privilégiés.
À travers l'observation des dynamiques, en termes de modèles et de contre-modèles, d'Anciens et de Modernes, mais aussi de logiques concurrentielles, nationalistes ou a contrario cosmopolites et internationalistes, et des effets de convergences et de divergences (appropriations et rejets, affinités transnationales), l'histoire transatlantique des échanges artistiques est en dialogue constant avec la géographie, la sociologie et l'anthropologie, et regarde les phénomènes culturels en prenant en compte l'importance des déterminations économiques, techniques et politiques de leur émergence et de leur développement. Il s'agit en effet de comprendre la manière dont se construisent et s'érodent les hégémonies artistiques (la veille Europe des académies au xviiie siècle, les pôles d'innovation formelle au xixe siècle, la domination de New York après 1940), dont s'articulent les différents espaces de la production, de la médiation et de la réception des arts. Aussi Béatrice Joyeux-Prunel, à la suite de Thomas DaCosta Kaufmann, plaide-t-elle pour une « histoire spatiale de l'art » dans son projet Artl@s fondé en 2009.
Ainsi s'écrit une histoire plus mondiale des arts visuels à l'époque contemporaine, attentive notamment aux circulations multilatérales (entre Europe, Amériques, Afrique), et à même, en décentrant le regard, d'enrichir considérablement les savoirs.