Agents littéraires
Au cours du XXe siècle, le rôle de l’agent littéraire dans la circulation transatlantique des textes n...
Les agences photographiques se développent en Europe et aux États-Unis au début du xxe siècle dans le cadre de l'essor du photojournalisme et de la presse illustrée. Elles ont pour mission de fournir les choix d'images les plus précis et variés à leurs différents clients, aussi bien dans le domaine de l'illustration que dans celui de l'actualité. Certaines agences se spécialisent dans l'un ou l'autre de ces champs. Pour l'illustration, il convient de rassembler de vastes fonds afin de répondre aux demandes les plus diverses, de la carte postale au manuel scolaire. Pour la presse, les photographes travaillent dans l'urgence afin d'être les premiers à couvrir un sujet ou un événement, car l'image d'actualité est une denrée périssable. Avec le temps, ces photographies perdent leur valeur d'actualité pour devenir des documents témoignant de l'histoire récente. Bien souvent, les agences de presse accumulent ainsi des archives au fil des années et deviennent donc de fait des ressources pour l'illustration.
L'agence est donc une interface entre le photographe et la publication (journal, magazine, éditeur). Elle permet au reporter de se concentrer sur son travail de terrain en facilitant le développement, la diffusion et l'archivage des images produites, en échange d'une commission sur les ventes. Elle peut lui proposer des sujets ou des commandes et lui offrir un réseau pour vendre au mieux son travail, y compris sur le long terme et dans plusieurs pays. Si certaines agences opèrent sur un terrain local, elles sont nombreuses à investir les marchés étrangers. Le secteur de la presse illustrée, peuplé de reporters qui voyagent d'un continent à l'autre et toujours en quête de sujets exotiques et lointains, se prête à cette internationalisation.
Les premières agences françaises, créées au début du siècle (Henri Manuel en 1900, Rol en 1904, Trampus en 1905, Meurisse en 1909), sont concurrencées dans les années 1930 par les agences américaines Keystone et Wide World, qui ouvrent des bureaux à Paris dès 1927, et par de nouvelles venues, comme Rapho, Alliance Photo et France Presse, qui dominent le marché. Ces dernières se développent dans un contexte de crise économique et d'expansion de la presse illustrée. Elles rassemblent de nombreux photographes et éditeurs juifs qui fuient la montée du nazisme. Certains partiront ensuite exercer leur profession aux États-Unis. Les agences Pix et Black Star, fondées en 1936 par des Allemands installés à New York, emploient ainsi de nombreux photographes immigrés.
Black Star est lancée par Kurt Kornfeld, Ernest Mayer, qui avait créé l'agence Mauritius à Berlin, et Kurt Safranski, ancien éditeur du Berliner Illustrirte Zeitung. Ils tirent parti de leur expérience sur le marché de la presse illustrée allemande pour développer aux États-Unis le genre de l'essai photographique. Plutôt que de présenter des images isolées, les photographies sont séquencées pour raconter une histoire et occuper une place centrale dans la mise en page. Les fondateurs de Black Star conseillent le magnat de la presse Henry Luce (Chine, 1898-États-Unis, 1967) pour le lancement de l'hebdomadaire Life (1936), qui fait de l'essai photographique sa marque de fabrique. Black Star devient une plateforme permettant aux photographes venus d'Europe de faire carrière aux États-Unis et de travailler pour Life.
Les pratiques développées en Europe, et notamment à Berlin, essaiment donc aux États-Unis. Le genre de l'essai photographique se diffuse également à travers le réseau des agences et de la presse communiste, dans les magazines Regards en France ou Arbeiter Illustrirte Zeitung en Allemagne. Cet hebdomadaire s'appuie notamment sur les ressources de Russ-Foto, créée en 1924 suite à une réunion au Kremlin pour échanger et distribuer des photographies soviétiques avec l'étranger. Russ-Foto propose des images témoignant de la vie et de la culture en URSS et collabore avec les agences dites « bourgeoises » et commerciales présentes dans d'autres pays, de Tokyo à New York en passant par Washington et Calcutta, même si ses principaux partenaires se trouvent en Allemagne et en France.
Dans l'entre-deux-guerres, l'essor de la presse illustrée et du format de l'essai photographique s'appuie ainsi sur les échanges internationaux entre des agences de part et d'autre de l'Atlantique et sur les déplacements constants des photographes, dont beaucoup doivent émigrer face à la montée des totalitarismes.
Cet esprit cosmopolite donne naissance, après la Seconde Guerre mondiale, à l'agence Magnum, qui fait encore aujourd'hui figure de marque reconnue pour bien des photographes. Ses fondateurs, d'origine hongroise (Robert Capa), polonaise (David Seymour, dit « Chim »), française (Henri Cartier-Bresson), anglaise (George Rodger) et américaine (William Vandivert), choisissent d'implanter dès le départ leurs bureaux à Paris et à New York. Maria Eisner (Italie, 1909-États-Unis, 1991), venue d'Allemagne pour diriger Alliance Photo et réfugiée aux États-Unis pendant la guerre, prend la tête du bureau français. Le modèle économique de Magnum consiste à tirer parti de cette structure transatlantique pour vendre un même reportage à différents clients, offrant des exclusivités géographiques sur le territoire européen ou américain.
Né Endre Friedmann, Robert Capa (Autriche-Hongrie, 1913-Indochine, 1954) est la cheville ouvrière de cette stratégie : pour lui, les photographes doivent désormais revendiquer le statut d'auteur à part entière afin d'être rémunérés à chaque publication. Plutôt que d'abandonner leurs négatifs à leurs clients, ils les diffusent auprès du réseau le plus large possible et en gardent les droits dans le temps, pour en tirer un maximum de profit. Cette revendication accompagne l'expansion continue du droit d'auteur au cours du xxe siècle. Elle répond d'abord à une nécessité économique, mais recouvre aussi une ambition journalistique, voire artistique : celle de se faire un nom, d'imposer une signature reconnue en créant les images iconiques associées à certains événements historiques. Robert Capa a fait personnellement l'expérience d'un tel succès, lui qui a réalisé quelques-uns des clichés les plus célèbres de la guerre d'Espagne et du débarquement allié.
Magnum demande aux magazines de faire figurer le nom de l'auteur de chaque image, de bannir le recadrage et d'utiliser des légendes respectant le contexte de la prise de vue. Les photographes-auteurs proposent d'ailleurs à leurs clients de véritables enquêtes construites autour d'un fil narratif, accompagnées de témoignages et offrant un regard singulier sur des sujets inédits. Ils peuvent ainsi espérer vendre à leurs clients une série d'images, c'est-à-dire un essai photographique, plutôt que des clichés isolés. Pour ce faire, Magnum diffuse à ses clients des deux côtés de l'Atlantique des « distributions » comprenant des images séquencées et légendées. Elle noue aussi des partenariats avec d'autres agences à travers le monde, comme ABC Press aux Pays-Bas, Zardoya en Espagne, John Hillelson au Royaume-Uni, Pacific Press au Japon. Chaque semaine circule un mémo indiquant où se trouvent les photographes et les sujets sur lesquels ils travaillent, afin de faciliter la mise en relation avec des clients potentiels.
Ce modèle économique transatlantique s'appuie sur la valorisation de la figure de l'auteur et sur une éthique profondément universaliste : après la guerre, les reporters engagés veulent participer à la reconstruction d'un monde de paix. Ils voyagent dans les pays les plus lointains pour témoigner des conditions de vie des femmes et des hommes qu'ils rencontrent. La photographie est alors perçue comme un langage universel, accessible à tous quelle que soit la langue parlée, et permettant de révéler notre humanité commune plutôt que nos différences. Cette ambition est au cœur de l'exposition The Family of Man, organisée par le conservateur Edward Steichen (Luxembourg, 1879-États-Unis, 1973) en 1955 au Museum of Modern Art de New York, qui rassemble des photographies prises dans le monde entier en s'appuyant notamment sur les ressources de Magnum.
Mais cette exposition et le modèle universaliste vont bientôt susciter le débat : ce regard humaniste, supposément compréhensible par tous, n'est-t-il pas celui du reporter blanc et privilégié, aveugle aux mécanismes de domination coloniale et aux différences culturelles, projetant ses stéréotypes et sa fascination pour l'exotisme au gré de ses pérégrinations ? Dans les années 1960, plusieurs photographes adoptent une nouvelle position. Plutôt que de prétendre incarner une objectivité ou des valeurs universelles, ils mettent en avant la portée subjective, critique et parfois autobiographique de leur travail. Dans le sillage de l'essor du New Journalism aux États-Unis, l'écriture journalistique à la première personne donne un nouvel élan à la photographie d'auteur, qui se déploie notamment à travers le format prestigieux du livre ou de l'exposition. Magnum participe à la diffusion transatlantique de ces revendications. En France, le courant humaniste demeure populaire, mais de jeunes photographes sont inspirés par les expérimentations de leurs consœurs et confrères américains. Dans le même temps, le modèle économique du photographe-auteur est à l'origine de la création de nouvelles agences qui cherchent à émuler Magnum tout au long des années 1970, comme Gamma, Sygma, Sipa et Viva à Paris, ou encore F4 au Brésil.
Le marché de la presse illustrée, toujours plus international et compétitif, traverse des crises à répétition à partir des années 1960, face à la concurrence de la télévision et à des coûts de production élevés. Les grandes agences de texte et d'image dites « filaires », comme France Presse, Reuters et AP ont les moyens de maintenir un réseau international, d'investir dans les derniers équipements et de tenir les délais très courts permettant de fournir des photographies aux journaux, tandis que les agences d'auteur ciblent les magazines. Elles adoptent diverses stratégies, en se spécialisant dans un domaine comme le voyage ou le sport, en misant sur des secteurs lucratifs comme les photographies de célébrité ou en se diversifiant.
La photographie «corporate», c'est-à-dire les commandes pour les entreprises, qui s'était d'abord développée aux États-Unis dans les années 1950, se diffuse ainsi en Europe et devient une source de revenus non négligeable pour certains photographes. Ces derniers adaptent le genre de l'essai photographique et du reportage de terrain au monde de l'entreprise, pour illustrer des rapports annuels et valoriser une image de marque.
Les expositions et les livres offrent également des débouchés intéressants pour les agences qui revendiquent le statut d'auteur de leurs membres et participent à la promotion culturelle et patrimoniale de la photographie documentaire. Ce tournant culturel et patrimonial se déploie notamment en France dans les années 1980, lorsque le ministère de la culture de Jack Lang met à l'honneur la photographie.
Les États-Unis sont, de leur côté, à la pointe du développement du marché des tirages photographiques, désormais collectionnés et reconnus comme des objets d'art, recherchés pour leur rareté. L'agence Magnum investit dans ce domaine en proposant des tirages en édition limitée et en collaborant avec des galeries, comme celle d'Howard Greenberg à New York. Les tirages les plus anciens des photothèques d'agence apparaissent sur les cimaises des foires internationales car ils peuvent prétendre au statut de vintage (épreuve originale). Peu à peu, les agences de photographes auteurs ne tirent plus qu'une faible part de leurs revenus de la presse et adoptent une stratégie diversifiée, de la vente de tirages à la publication de livres en passant par les commandes pour les entreprises ou les collaborations avec des ONG.
Malgré cette diversification, le modèle économique des agences reste précaire, notamment dans le contexte de la transition numérique. Celle-ci représente des investissements importants, avec notamment pour les agences historiques le coût de la numérisation des archives, désormais diffusées en ligne. Elle s'accompagne également d'une remise en cause du droit d'auteur, fondement économique du secteur : les images publiées en ligne échappent à tout contrôle et sont noyées dans une masse en prolifération constante. La valeur d'une image tient dès lors moins à son exclusivité ou à sa rareté qu'à sa visibilité. Pour tirer leur épingle du jeu, les agences et les photographes doivent attirer des flux de visiteurs sur leurs pages et sur les réseaux sociaux, afin de peser dans l'économie numérique. Face à la dématérialisation des échanges, le rôle traditionnel des agences et de leurs réseaux est remis en question. Certains photographes se passent de ce support pour toucher directement leur public à travers les réseaux sociaux (notamment Instagram), attirant les commandes parce qu'ils ont un nombre important d'abonnés et offrent donc une plus grande exposition médiatique à leurs clients.
Dans ce contexte numérisé et mondialisé, les agences sont toujours plus internationales, rassemblant des photographes aux horizons variés et travaillant sur tous les continents. L'essentiel du marché est concentré dans les mains de quelques grandes agences de presse et des banques d'images comme Getty et Corbis, qui ont racheté les fonds de nombreux acteurs historiques. En parallèle, les petites agences d'auteurs, les collectifs et les associations de photographes revendiquant un regard original perdurent (Myop, Noor, VU, etc.). La dynamique transatlantique, qui avait présidé à l'essor des agences, est désormais insérée dans un réseau plus vaste, celui des publications web, des expositions et des festivals qui se tiennent dans le monde entier.